Et mon coeur fait boum·L'Art du récit

Dix Petites Anarchistes – Daniel de Roulet

On était dix et à la fin on n’est plus qu’une.

C’est ici la première phrase du roman de Daniel de Roulet. Elle ne ménage aucun suspense sur le destin des femmes qui nous sera ensuite conté, elles qui ont un jour cru en des idéaux que l’époque ou la morale pourrait qualifier de pure folie. Éprises d’un autre mode de vie, tentées par l’idée d’une société anarchiste après avoir été emportées par les discours de Bakounine, ces ouvrières-horlogères délaissent leur Suisse natale pour gagner les terres lointaines de Patagonie.

Sûr qu’il s’agissait de peupler la contrée, qu’ils cherchaient des jeunes filles à marier ou des putes. Cela nous donnerait l’occasion de prouver qu’on n’était ni l’un, ni l’autre.

Assurément, le voyage sera long, difficile, éprouvant. Ce périple – aussi insensé soit-il – se voit consigné dans un cahier journal de bord que Valentine, la narratrice, utilise pour garder la trace leurs anecdotes quotidiennes. Cette aventure maritime est alors l’occasion de dresser le portrait de femmes vaillantes, obstinées, aux convictions tenaces. Sur leur chemin, des visages aimants, des monstres menteurs, des regards aussi étonnés qu’admiratifs.

Celles qui avaient eu des aventures tristes ou gaies remarquaient que le cœur va où il veut quand il veut.

Quel texte que ce court roman absolument passionnant qui permet d’incarner à travers ces femmes les idées qui agitaient les esprits révoltés. Il se fait aussi l’écho de voix qui ont marqué les grandes révolutions du siècle. Des combats des communard·es aux projets utopistes en passant par les velléités anarchistes, ce texte est celui des espoirs irréfrénables nourris par l’idée qu’un autre monde est possible. Ces dix femmes portent en elles cette quête d’absolu, fortes de leur refus catégorique de se laisser entraver par les pressions patriarcales et sociétales pourtant si tenaces.

C’est aussi se réjouir de l’imprévu sans perdre la force de s’insurger.

Vives d’esprit, amoureuses ne craignant pas les interdits, femmes de poigne, elles quittent tout pour un monde qui n’a rien d’un fantasme idéalisé, bien conscientes que l’Eldorado de Candide ne les attend pas. Néanmoins, elles gardent au fond de leur sac un peu de littérature, de rares souvenirs témoins d’une vie qu’elles quittent à tout jamais, quelques montres pour unique monnaie d’échange… Elles brisent aussi leurs chaînes invisibles de veuves, d’ouvrières, de femmes battues. Leur courage en bandoulière les mènera sur une route qui les perdra parfois mais qui ne les détournera jamais de leur but initial, à savoir vivre selon leurs choix, dans la plus absolue et farouche des libertés. Une lecture qui a assurément l’unique défaut d’être trop courte tant l’on aimerait que ces sacrées culottées-là nous accompagnent plus longuement. À lire. Vraiment. (Pour ne pas dire ABSOLUMENT !)

Ni dieu, ni maître, ni mari.

Dix Petites Anarchistes de Daniel de Roulet
Éditions Libretto
8.10€ / 144 pages / 2018
Roman / Destin de femmes
 
Publicité

11 réflexions au sujet de « Dix Petites Anarchistes – Daniel de Roulet »

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s