L'Art du Roman·Les classiques c'est fantastique·Polars et Romans noirs

J’irai cracher sur vos tombes – Boris Vian

Il croyait qu’en faisant le bien, on récoltait le bien, or, quand ça arrive, ce n’est qu’un hasard. Il n’y a qu’une chose qui compte, c’est se venger et se venger de manière la plus complète qui soit. 

Lee Anderson se retrouve parachuté à Buckton, petite ville du sud des États-Unis juste après la mort de son frère, tué pour s’être entiché d’une jeune femme blanche. Il se retrouve à gérer une librairie et passe la plupart de son temps libre dans les bars à dépenser le moindre sou pour entretenir son goût prononcé pour l’alcool qu’il partage avec une bande de gars-viande saoule. Ses soirs d’ivresse ne s’arrêtent pas à s’avachir sur le comptoir et dès que l’occasion se présente, ce dernier joue de ses tristes charmes pour attirer des demoiselles bien trop faciles à séduire et bien trop jeunes pour ne pas s’en offusquer. La débauche à portée de verre et de main.

Sa routine est bien huilée mais il n’en demeure pas moins motivé par une puissante obsession de vengeance. Au fond de lui, ça bouillonne, ça rumine. Sa colère monte et gronde et son seul désir profond dépasse les paradis artificiels et les tentations charnelles. Il veut venger la mort de son frère et rien de semble pouvoir venir apaiser cette rage-là. Aussi, décide-t-il de tout faire pour assouvir sa colère et mettre en œuvre son plan machiavélique. Les Blancs paieront. Quel qu’en soit le prix.

Je n’avais pas de veine, avec cette fille. Toujours malade, qu’elle ait trop bu ou trop baisé.

Dès lors, la chute sera inévitable et Vian, caché derrière la plume mordante de Vernon Sullivan, déploie un récit d’une noirceur folle et inattendue. Les mots sont crus, les actes odieux et l’abject rythme sa partition sordide. Lee Anderson n’épargne ni les personnages qu’il croise et détruit, ni les lecteurs et lectrices pris au piège dans cette spirale infernale. Viol, crime, pédophilie ou le diabolique trio alimentant ce texte pornographique autrefois censuré dont les enjeux dépassent assurément la simple parodie de romans noirs américains.

Je n’ai lu de Vian que quelques extraits du si poétique L’Écume des jours. Si je ne l’avais pas su auteur de ce texte, je lui aurais, je l’admets, difficilement attribué la paternité de ce texte. N’y cherchez pas la poésie. Ici, la langue ne côtoie pas le beau et l’on n’y trouve .aucune prouesse stylistique. La narration choque parce qu’à la première personne, nous rendant témoins, comme un public aux premières loges, d’une avalanche de crimes répugnants dont la mécanique, décrite sans fard, vous saisit la gorge.

Il m’était difficile d’être plus mufle, et pourtant, j’ai des dispositions.

On dit de ce livre qu’il se voulait dénoncer le racisme dont souffraient les Noirs dans le sud des États-Unis… Il n’en demeure pas moins qu’avec un tel héros qui nourrit son quotidien de violence et de sexualité débridée, l’ambiguité règne, noyée dans le malaise ambiant d’une atmosphère sordide et écœurante, arrosée de misogynie et de haine. Un livre terrifiant dans sa surenchère nauséabonde à travers lequel aucun personnage ne parvient à laisser entrevoir la moindre once d’espoir ou de foi en l’humanité.

Jusqu’à ce moment-là, je n’avais pas pensé à toutes les complications dans lesquelles allait m’entraîner l’idée de démolir ces deux jeunes filles. L’envie me vint, à ce moment, d’abandonner mon projet et de tout laisser tomber, et de continuer à vendre mes bouquins sans m’en faire. Mais il fallait que je le fasse pour le gosse, et puis pour Tom, et pour moi aussi.

Voilà donc ma première chronique consacrée aux vieux ou vieilles dégueulasses (titre clin d’œil à Bukowski si tant est qu’il soit nécessaire de le signaler…) L’idée étant de vous proposer des titres qui au goût de scandale qui ont parfois subi les foudres de la censure. Et quelque chose me dit que je reviens demain…

Lire les chroniques de Fanny / Natiora / Lili / Lolo / Mag / Pati / Katell / Alice / Margot / L’Ourse / Madame Lit  / Fanny / Mumu /

Prolongements et échos :

– La série You sur Netflix, pour assouvir vos envies de libraires tordus.

Le Diable tout le temps – Pollock

Les classiques c’est fantastique [Saison 2]

 

J’irai cracher sur vos tombes – Boris Vian / Vernon Sullivan
Éditions Le Livre de poche
5,90€ / 224 pages / 1946
Roman noir – Les classiques c’est fantastique [Saison 2] – Chroniques des gros·ses dégueulasses

22 réflexions au sujet de « J’irai cracher sur vos tombes – Boris Vian »

  1. Un auteur aux multiples facettes moi j’aime bien malgré tout car je pense que l’humain est ainsi constitué. J’ai un recueil de ses oeuvres « romantiques » dans ma PAL mais celui-ci je ne le connais que de nom et de réputation….. J’irai voir un peu de quoi il retourne mais apparemment il faut que je me prépare psychologiquement et que je sois au top du moral 🙂

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  2. Lu il y a longtemps, et aucun souvenir de cette ambiance que tu annonces comme très crue, je devrais peut-être tenter une révision. Et je n’aurais jamais pensé à cet auteur pour ce thème, bravo !

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  3. Hé bien, je découvre en te lisant que je n’avais aucune idée de ce dont parlait ce roman !

    J’ai L’écume des jours dans ma PAL (vestige des lectures imposées en secondaires à mon frère qui s’en est débarrassé dans mes étagères) mais je n’ai encore jamais lu de Boris Vian.

    Ta chronique m’a intriguée, peut-être un jour me laisserais-je tenter.

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