C’est beau, ça brille, ça s’enorgueillit de dorures et se donne la prestance d’un joli manuscrit aux enluminures travaillées venu tout droit d’un autre temps. Mais il suffira d’un regard sur le titre spoiler ou l’illustration de couverture pour comprendre que le flacon précieux renferme un breuvage cynique et grinçant. Au diable le ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants. Il est temps de relire les contes de notre enfance et de les confronter à une analyse dont le ton percutant ne manque assurément pas de saveur.
Spoiler alert : dans les contes originaux, aucun ne se termine par « ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants ». Aucun prince ne s’appelle « prince charmant » et d’ailleurs, certains sont carrément craignos. Et ce n’est pas tout…
Quand on creuse un peu, on retrouve d’anciennes versions franchement plus sordides, [avec] :
– des mutilations…
– des meurtres…
– de l’adultère…
– et du cannibalisme.
Et en fouillant plus profond, on finit même par déterrer…
… d’authentiques scènes de cul !
(Si tu t’appelles Timothée et que tu as huit ans, c’est le moment de changer de livre.)
Exhumer de l’Histoire littéraire des contes aux tenants et aboutissants diaboliques et épouvantables, voilà à quoi s’attèle l’autrice de cette bande dessinée qui remue les codes et les représentations. Certes, nous savons combien le trait rond et lisse et le goût affirmé des stéréotypes de Disney a mis à mal les versions originelles en les saupoudrant de beau et d’amour sirupeux. Il est aussi compréhensible que, pour être racontés aux enfants, les contes aient parfois été amputés de leur noirceur. Épurés, réécrits, adaptés, dénaturés, les récits traditionnels ont ainsi paradoxalement survécu dans une dynamique d’effacement et de réécriture perpétuelle.
Cette BD est un véritable essai dessiné qui fait de l’humour et de la distanciation les outils parfaits d’un métatexte qui, contrairement à l’appareil critique classique, captive et fait rire. Un titre qui chatouille les idées reçues, remet les parentés littéraires en lumière et éclaire l’évolution d’un genre qui n’a cessé de se transformer dans sa transition entre l’oralité et l’obtention d’une place parmi les titres de papier.
Les contes de fées étaient des récits ancestraux, profondément symboliques, remodelés de siècle en siècle par la parole et l’écrit… Aujourd’hui, ils servent de matière premières à des œuvres qui, techniquement, n’appartiennent plus au genre du conte de fées. C’est la stratégie des contes pour continuer de s’adapter à notre époque qui préfère le concret au merveilleux.
Lou Lubie en profite également – à l’instar de Titiou Lecoq dans son ouvrage Les Grandes oubliées de l’Histoire que je ne cesse de conseiller à tout va – pour soulever quelques réflexions du même acabit en interrogeant la manière dont les versions de Perrault ou des frères Grimm ont finalement su s’imposer à nous en laissant de côté des noms – étrangement féminins – plus confidentiels – aka Dorothea Viehman, Maria Hassenpflug ou Gabrielle-Suzanne Villeneuve ou plus tardivement apparus dans les manuels scolaires comme Madame Leprince de Beaumont ou Madame d’Aulnoy.
Une approche qui fera peut-être hésiter les amateur·trices de prouesses graphiques, pâlir les universitaires en mal de vulgarisation et grincer les dents des puristes ne jurant que par les essais traditionnels mais qui a indéniablement le mérite de remettre pas mal de récits dans leur contexte ou de croiser les multiples interprétations qui ont fait couler beaucoup d’encre quand il s’agissait d’analyser leurs vertus morales ou leur portée symbolique. Si le ton semble n’être que légèreté, le propos n’en demeure pas moins incroyablement sérieux, fruit d’un travail de recherche particulièrement édifiant. Un ouvrage absolument passionnant à découvrir qui ne sera pas sans bouleverser certaines représentations tenaces et faussées dans l’esprit des amoureux·ses de Disney…
Échos et prolongements :
– Bouffon Zidrou & Porcel
– Jolies ténèbres Kerascoët & Vehlmann
– Pinocchio – Winshluss
– Les Grandes oubliées de l’Histoire Titiou Lecoq
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Les chroniques des amoureux des bulles se trouvent
Au milieu des livres
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Natiora Karine Mylène Blandine Maël
Véronique Pati Caro Stephie Noukette
Et à la fin, ils meurent. La sale vérité sur les contes de fées de Lou Lubie Éditions Delcourt 14,50€ / 48 pages / 2021 Bande dessinée – 9e Art – BD de la semaine |
Très tentant, j’aime bien l’idée d’un essai dessiné, moi qui n’accroche pas aux essais texte !
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Noukette m’avait déjà convaincue, j’ai hâte de découvrir cet ouvrage à mon tour. Je ne renierai certainement pas les contes édulcorés de ma jeunesse que je transmets à mon tour aux enfants (chaque chose en son temps) mais je saute sur l’occasion de découvrir les histoires originelles en contournant leur lecture. La façon d’aborder le sujet semble brillante et ludique, ça me fait envie.
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Plus que partante!!
Et comme Enna, j’ai du mal avec les essais texte
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J’ai ri jaune avec l’extrait de « ça fait p*** »… Je me l’offrirai bien et par la même occasion l’offrir à ma nièce 😉
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il me le faut absolument ! 🙂
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Ça a l’air absolument passionnant ! 🙂
Décidément, c’est une autrice à suivre Lou Lubie (j’avais bien aimé La fille dans l’écran).
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Il va arriver à la bibliothèque, je l’attends 🙂
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je crois qu’il a vraiment tout pour me plaire!
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J’avais écrit un commentaire ce matin que je vois pas…
Je te disais que j’étais très tentée, par le sujet, l’idée et la forme. D’autant que comme Enna, j’ai du mal avec les essais « texte »
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J’adore, c’est vrai qu’il y a tellement de stéréotype dans les contes !
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Oh my, je veux ça! Absolument!
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Merci pour la découverte de cet ouvrage qui pourrait bien me plaire ! 🙂
Je me le note de suite 😉
Bonne journée !
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Déjà noté, j’ai très envie de le lire !!
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Évidemment !!!
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j’en suis assez curieuse !
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Et à raison !
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J’avais bien aimé 2 de ses albums précédents, celui-ci me tente bien, je note je note…
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Tu ne pouvais que te précipiter… et aimer ! Excellent cet album !
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Vraiment passionnant.
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Quel régal cet ouvrage !
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Il a vraiment l’air super. J’espère avoir l’occasion de le lire bientôt. Merci pour ce coup de coeur à partager !
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