W est une île qui a vu naître sur ses terres un immense complexe sportif mettant les prouesses et records au cœur de la vie de la cité. Les olympiades qu’on y organise font la réputation de cette contrée et c’est avec une application sans pareille que Perec nous décrit les lieux. Rigueur poussée à l’extrême, culte du corps et de la performance – quoi qu’il en coûte – W est une utopie sportive qui porte en elle des valeurs fortes à défendre avec ferveur.
Mon enfance fait partie de ces choses dont je ne sais pas grand chose. Elle est derrière moi, pourtant, elle est le sol sur lequel j’ai grandi, elle m’a appartenu, quelle que soit ma ténacité à affirmer qu’elle ne m’appartient plus.
Tout porte à croire que le premier chapitre de ce roman nous éloigne immédiatement du genre autobiographique. Le suivant se veut rassurant puisque Perec s’adonne à l’exercice en évoquant sa naissance, point de départ d’un récit introspectif à venir. Nous nous trouvons alors pris dans une lecture hybride durant laquelle les chapitres se font tour à tour l’écho de deux histoires. La vie d’un auteur, ponctuée de souvenirs parcellaires et d’une mémoire fragile, le portrait d’une société idéalisée dépeinte à travers le prisme de la fiction. Une alternance qui lentement pose les jalons de deux récits bien plus proches l’un de l’autre qu’il n’y paraît…
Courir. Courir sur les cendrées, courir dans les marais, courir dans la boue. Courir, sauter, lancer les poids. Ramper. S’accroupir, se relever. Se relever, s’accroupir. Très vite, de plus en plus vite. Courir en rond, se jeter à terre, ramper, se relever, courir. Rester debout, au garde-à -vous, des heures, des jours, des jours et des nuits. À plat ventre ! Debout ! Habillez-vous ! Déshabillez-vous ! Habillez-vous ! Déshabillez-vous ! Courez ! Sautez ! Rampez ! À genoux !
Perec est connu pour son goût du jeu, des mots, des sens cachés. Dans La Disparition, il réussit la prouesse folle d’écrire un roman lipogramme (sans le moindre e). Pour W ou le souvenir d’enfance, les disparus sont incarnés. C’est à son passé familial qu’il donne voix au chapitre. Ce dernier se frotte au genre autobiographique tout en s’émancipant de ses contraintes, tout en bouleversant ses codes. Perec provoque. Il répète inlassablement combien ses souvenirs sont inexistants et à quel point la mémoire résulte d’un mécanisme complexe. Ne pas se pouvoir se souvenir, c’est aussi dire combien l’Histoire a rendu difficile cette possibilité d’exhumer son enfance sacrifiée.
Il y a deux mondes, celui des maîtres et celui des esclaves. Les Maîtres sont inaccessibles et les esclaves s’entre déchirent. Mais cela, l’Athlète W ne le sait pas. Il préfère croire à son Étoile.
Au fil des pages, l’ambiguïté de ce récit de vie dévoile sa sombre réalité. Les nombreux échos et indices semés ne laissent aucune place au doute et certains passages éclairent tristement les raisons d’un tel parallèle. L’île si parfaite devient une utopie en perdition, une terre de crime sur laquelle la violence et la cruauté ont la part belle. Mises en scène sordides, injustice et loi du plus fort: W montre lentement son vrai visage que le masque allégorique ne cache plus. Un texte qui – malgré sa gravité – ne manque pas de se parer d’un ton parfois léger et ironique, propre à l’humour dont sait faire preuve Perec dans ses romans. Mais soyons pas dupes, entre ces pages, se joue aussi et surtout la tentative de faire dire à la littérature ce que l’Histoire a essayé un jour de taire. Une approche atypique du genre qui rend ce texte si singulier et puissant.
Première chronique classique pour ce RDV de septembre consacré aux écrits autobiographiques. Celles des autres participant·es sont ici:
Fanny / Natiora / Lolo / L’Ourse bibliophile / Mag / Mumu / Magali / Madame Lit / Lili / Alice / Héliéna / Une Comète / Paolina / Sandrine
W ou le souvenir d’enfance de Georges Perec Éditions Gallimard, dans la collection L’Imaginaire. 8,90 € / 224 pages / 1975 Les classiques c’est fantastique! |
Cet auteur m’a toujours fait peur, sans doute à cause de la réputation de « La disparition », et je n’ai à ce jour ouvert aucun de ses livres. Superbe chronique !
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Je pense sincèrement que La Disparition est une performance mais que ce livre est difficilement supportable à lire. (La contre partie de cet exercice de style complètement dingue.) Tu peux franchement tenter avec ce titre-là, nettement moins alambiqué. Tu me diras si tu essaies. (Et merci…)
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Je ne connais pas ce roman de Perec et pourtant je croyais avoir lu tous ses livres. Merci pour cette découverte.
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Bonjour Moka, voici mon lien : https://auxbouquinsgarnis.wordpress.com/2021/09/27/le-livre-de-ma-mere-albert-cohen/ j’ai en tête ce Perec depuis un moment … un jour je le lirai. Un jour … bonne journée!
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J’avais commencé à le lire la semaine dernière pour ce rendez-vous et je n’ai pas persévéré car je trouvais l’écriture trop sèche. Il m’est de plus en plus difficile de lire au delà de vingt pages quand je n’accroche pas.
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Je crois que le seul livre lu de l’auteur est « je me souviens » utilisé après par un de mes profs pour en faire un atelier d’écriture (que j’avais adoré faire!)
Tu me donnes envie de redécouvrir cet auteur avec ce texte qui pourrait me plaire par son originalité.
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Je n’ai lu que La disparition de Perec (plus exactement, je crois en avoir lu la moitié : l’exercice est impressionnant, mais le texte en lui-même ne m’avait pas passionnée) et ce texte semble très original et fort. J’ai un peu des réticences vis-à-vis d’un texte pareil, je ne sais pas si j’accrocherai, mais c’est intrigant.
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Un texte fort sur cette période.
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Très agréablement surprise !
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J’avais beaucoup aimé La disparition (si si !) et Je me souviens mais ce mois-ci j’ai zappé le thème…
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J’ai lu pas mal de choses sur l’Oulipo et c’est comme ça que je connais Perec, car je ne l’ai jamais lu (ou alors je ne m’en souviens pas). Il aurait été étrange qu’il choisisse d’écrire une autobiographie classique. Si je dois le lire un jour je pense que je me tournerai davantage vers un de ses autres textes majeurs.
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J’adore Perec et je t’envie d’avoir lu ce livre ! La Vie mode d’emploi doit être mon préféré.
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J’ajoute cet auteur à ma (longue) liste des écrivains à découvrir un jour, il semble valoir le détour à te lire.
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Et bien, quelle chronique ! J’aime bien Perec par son audace et son instinct joueur mais je ne l’ai jusqu’à présent lu que par morceaux, extraits, feuilletages. Je ne tiens pas sur la longueur… Je note ce titre, j’aime beaucoup les passages que tu cites.
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