À la recherche du temps perdu
On n’échappe pas à tant de monde, Jacques. Et que tu le veuilles ou non, il faudra que tu appartiennes à quelqu’un ou que tu retournes dans ton asile.
Quand Gaston se présente à la famille Renaud, tout le monde semble sur le qui-vive. La tension est à son comble tant les conséquences de ce rendez-vous sont cruciales. Ayant perdu la mémoire après avoir vécu la Grande Guerre en tant que soldat, celui-ci a passé dix-huit ans dans un asile, coupé du monde, amputé de son passé et de son identité. Après une enquête minutieuse et des démarches pour réduire comme peau de chagrin la liste des familles concernées, cinq d’entre elles affirment que Gaston est le fils qu’elles pensaient définitivement perdu et mort sur le front.
Un héros, c’est vague aussi en temps de guerre.Le médisant, l’avare, l’envieux, le lâche même étaient condamnés par le règlement à être des héros côte à côte et presque de la même façon.
Accompagné d’une duchesse excentrique, Gaston se rend donc chez les Renaud pour une première visite, en espérant qu’un déclic aura lieu et permettra au jeune homme de retrouver le passé oublié. Dans la prestigieuse maison qui attend ce jour avec une émotion palpable, tout le monde s’impatiente. Néanmoins, l’arrivée du jeune homme bouleverse en bien des points. Pourquoi le frère aîné semble-t-il si nerveux et agacé? Pourquoi les médisant·es domestiques guettent-ils son arrivée l’œil collé au trou de la serrure? Pourquoi cette mère aimante semble-t-elle si fébrile à l’idée de retrouver ce fils disparu?
Mais, voyez-vous, pour un homme sans mémoire, un passé tout entier, c’est trop lourd à endosser en une seule fois.
Un voyage symbolique dans le passé
Si le titre laisse penser qu’il a tout à fait sa place dans notre thématique mensuelle il serait bon de préciser qu’il n’est nullement ici question d’une fabuleuse échappée vers l’ailleurs. Mais quelle belle imposture… Les valises de Gaston sont aussi vides que sa mémoire et le véritable voyage qui se joue a lieu dans les méandres de ses souvenirs si flous. Durant ces deux jours passés dans la demeure des Renaud, Gaston va tirer sur le fil d’un passé révolu et tenter à travers les récits de chaque personne croisée, de retrouver ce qu’il était comme on tenterait d’assembler les morceaux d’une vieille photographie déchirée. Mais même reconstitué, le portrait ne saurait dissimuler les contours abîmés. Autant de fissures à accepter pour un personnage qui trouve dans sa quête-miroir, un reflet auquel il ne s’attendait pas.
J’étais si tranquille à l’asile… Je m’étais habitué à moi, je me connaissais bien et voilà qu’il faut me quitter, trouver un autre moi et l’endosser comme une vieille veste.
Côté dramaturgie, c’est un bonheur de lire Anouilh et d’être conquise une fois encore par son puissant talent pour le verbe théâtral. Dans les mots de Gaston, toujours cette soif d’absolu, du besoin de vérité (néanmoins plus intériorisée) qui le lie à Antigone. Dans les corps des comédiens qui incarnent les domestiques, le souvenir des pièces passées et des histoires complexes entre maîtres et valets, dans les sourires pincés des couples usés, l’écho du théâtre de boulevard, dans les décisions des protagonistes, quelque chose des dilemmes tragiques sans toutefois entrevoir de conclusion funeste. Et puis toujours, chez Anouilh, ce goût puissant de la liberté, cette importance viscérale des choix que l’on affirme face aux carcans, qu’ils soient ceux des sentiments, du pouvoir politique, d’une famille en mal d’absent.
Je suis un amant qui ne connaît pas l’amour de sa maîtresse – un amant qui ne se souvient pas du premier baiser, de la première larme – un amant qui n’est le prisonnier d’aucun souvenir, qui aura tout oublié demain. Cela aussi, c’est une aubaine assez rare… J’en profite.
Dernière chronique pour cette semaine littéraire « Invitation au voyage »… J’ai donc choisi du théâtre, pour offrir un peu de dépaysement dans nos sélections souvent romanesques. La chronique de Fanny est ici et celle de Natiora là.
Edit: nos deux Magali ont aussi lu Pierre Loti et Agatha Cristie.
Jean Anouilh au milieu des livres: Antigone / Médée
Le Voyageur sans bagage de Jean Anouilh Éditions Gallimard – Folio 6,90€ / 224 pages / 1972 Les classiques c’est fantastique ! / Coup de théâtre |

J’avais adoré cette pièce. Je pensais d’ailleurs la présenter pour le plaisir de la relire 🙂
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C’est vrai que je me tourne beaucoup plus facilement vers le roman, malgré quelques belles lectures du côté du théâtre, je n’y vais pas spontanément. Tu as bien fait de choisir une pièce pour nous aiguiller vers autre chose, d’autant que celle-ci me tente énormément. Les citations me touchent déjà, si tout le texte est comme ça !
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Très bon souvenir de lecture ! Sur le même thème je me souviens d’une BD saisissante d’il y a quelques années ainsi que d’un reportage, sur Arte je crois.
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Pour la BD il ne s’agirait pas de La Parenthèse par hasard?
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Tu donnes vraiment l’envie de lire cet auteur.
Je mets à jour mes liens vers le blog dès que possible
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C’est un de mes dramaturges préférés avec Racine et Durringer.
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Cela me fait penser à Martin Guerre…. Décidément je découvre beaucoup grâce à toi et aux classiques….. Je ne pensais pas faire autant de découverte et dès que je reprendrais mes achats après avoir sérieusement vider ma PAL je pense que la carte bleue va chauffer 🙂
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Je suis ravie que ce RDV provoque ces envies là. J’avoue que ce retour aux classiques me fait un bien fou ! Et que bien des textes méritent qu’on parle d’eux !
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Je ne connais de nom l’auteur évidemment mais je ne l’ai encore jamais lu. La pièce dont tu parles du coup m’intrigue et me donne envie de la découvrir.
Bonne journée !
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Commence éventuellement par Antigone ou Médée pour découvrir l’auteur. (Médée est 💗)
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Tiens, je parlais justement avec une copine hier du théâtre d’Anouilh que j’aimais beaucoup. Antigone, Roméo et Jeannette. Je ne connais pas ce titre, mais je le note car il semble en tout point passionnant. merci!
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J’ai eu un vrai coup de foudre pour Antigone et Médée. Ils sont difficiles à détrôner dans les œuvres d’Anouilh mais cette nouvelle lecture me confirme que c’est un de mes dramaturges préférés.
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J’avais adoré lire cette pièce et découvrir cet auteur, et tu me donnes d’y retourner de suite ! D’ailleurs j’ai une certaine Médée qui m’attend, je crois que tu connais 😉
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Tous ces classiques que tu enchaînes, ça me rappelle la fac. Et ça ne me rajeunit pas…
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Je dois avouer que j’ai presque toutes les pièces d’Anouilh chez moi, dont celle-ci… et j’adore, forcément. Je trouve d’ailleurs que la plupart sont beaucoup plus subtiles que Antigone, et souvent drôles aussi (plutôt que tragiques).
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J’ai une tendresse particulière pour le tragique, mais en poursuivant ma découverte d’Anouilh, je remarque comme toi cette capacité à faire rire qu’on ne lui prêterait pas à la lecture de ses pièces les plus connues.
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Le titre me dit quelque chose, je suis sûre que je l’ai lu, mais je n’en ai malheureusement gardé aucun souvenir.
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Te voilà donc totalement en adéquation avec le héros !
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D’Anouilh, je n’ai lu qu’Antigone qui m’a laissé un excellent souvenir. Un titre qui semble idéal pour renouer avec cet auteur.
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