De la chambre douillette au Pays imaginaire.
Tous les enfants, hormis un seul, grandissent.
Cela commence par une fenêtre entrouverte, symbole d’un passage entre deux mondes. Une nuit, dans la demeure du couple Darling, un jeune visiteur s’y glisse pour emporter avec lui leurs enfants chéris. Le voyage n’est pas de celui qui s’offre à tous. Il est le privilège de l’enfance, époque qui donne accès à ce ce Pays imaginaire qui accueille toute personne qui n’a pas encore mis un pied dans le monde des adultes. Ainsi s’échappent, sans autre forme de procès, demoiselle Wendy et ses frères Michael et John sous l’influence de ce fameux Peter Pan connu pour être l’enfant refusant catégoriquement de grandir.
En réalité, il souffrait beaucoup; et son cœur était si plein de rancune contre les grandes personnes qui gâchent tout […] Un adage de l’Île prétend en effet que chaque fois qu’on respire, une grande personne tombe raide morte. Aussi Peter s’efforça-t-il de respirer le plus souvent possible.
Croire à cette destination-là, c’est accepter d’être encore un·e enfant. Celui ou celle qui sait si bien faire semblant qu’il finit par oublier la frontière entre le rêve, le fantasme et le jeu. Là-bas, l’on déploie toute son énergie pour affronter le terrible ennemi Jacques Crochet, là-bas, les querelles ont tout de suite l’allure de grandes guerres. Là-bas, on oublie d’avoir peur mais l’on se sent fébrile à l’idée qu’aucune figure maternelle ne console. Et si l’enfant perdu a fait des faux-semblants un art de vivre, il espère, néanmoins qu’une jeune demoiselle aura les épaules pour assumer ce rôle-là.
– Insolente et orgueilleuse jeunesse, apprête-toi à affronter ton destin!
– Homme ténébreux et malfaisant, répondit Peter, défends-toi !
Grandir ou ne pas grandir?
L’œuvre de Barrie – initialement pièce de théâtre – est un jour devenu ce roman. Elle est une véritable déclaration d’amour au pouvoir de l’imaginaire et un texte profondément nostalgique évoquant le temps qui file et nous échappe. Le récit offre aux lecteurs et aux lectrices un ton qui mêle le léger et le solennel et nous tournons les pages accompagné·es d’une voix narrative qui nous interpelle, tout en commentant les faits et gestes des protagonistes. Une fois de plus, l’aura de Lewis Carroll n’est jamais bien loin, l’absurdité fantasque en moins.
C’était la première fois qu’elle assistait à une tragédie. Peter en avait vu bien d’autres et les avait toutes oubliées.
À l’instar des contes traditionnels, les défauts humains sont dépeints derrière le ton badin de la fable. Peter Pan est un petit garçon très sûr de lui, un poil prétentieux et finalement assez antipathique. S’il déteste Crochet, il n’en n’est pas moins tyrannique que son ennemi juré. Sa comparse Clochette n’est quant à elle pas des plus agréables et se montre parfois bien fourbe face à Wendy dont elle se méfie allégrement (par jalousie). Néanmoins, ces héros et héroïnes laissent également entrevoir la fragilité de leur âge, ce qui leur apporte la touche d’humanité qui leur fait parfois défaut dans cette contrée lointaine.
– Maintenant, je suis une grande personne, ma chérie. Quand on grandit, on désapprend à voler.
– Pourquoi désapprend-on ?
– Parce qu’on n’est plus assez joyeux, innocent et sans cœur. Seuls les sans-cœur joyeux et innocents savent voler.
Cette escapade vers le Pays imaginaire a assurément le goût des romans d’aventure à la Stevenson et des robinsonnades et la violence y est omniprésente derrière la féérie ambiante. C’est un récit court qui n’est pourtant pas dépourvu de quelques longueurs et écueils moralistes profondément ancrés dans la société anglaise du début XXe. Si Wendy y joue un rôle important, elle est aussi cantonnée à un rôle très traditionnel et enfermée dans un carcan qui dénote un peu avec le goût de la liberté prôné au fil des pages. Quelques bémols nuancés par une dernière partie qui pose le jalon de réflexions liées à ce qui nous fait un jour basculer dans le monde des adultes. Moment parfois imperceptible dont le mécanisme invisible est incroyablement bien saisi par la plume-poudre de fée de Barrie.
Il lui arrivait de connaître des félicités inouïes, interdites aux enfants, mais en ce moment, il regardait à travers la vitre la seule joie qui lui était à jamais refusée.
En cette semaine consacrée aux classiques et aux voyages, j’ai eu envie de sortir des sentiers battus et de m’offrir également une échappée imaginaire. Un livre que j’ai décidé de lire sur les conseils avisés de Blandine durant sa semaine consacré à Peter Pan.

D’autres chroniques classiques par mes compagnes de route: Fanny / Natiora / Alice / Céline
Peter Pan de James Matthew Barrie Traduit de l’anglais par Yvette Métral Librio (Texte intégral) 2€ / 128 pages / 1911 Les classiques c’est fantastique ! / Lire l’ailleurs |
Magnifique billet qui me renvoie avec joie au Pays Imaginaire 🙂
Merci pour le clin d’œil. Je suis ravie que cette édition t’ait plu!
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Merci Blandine. Un autre clin d’œil à venir puisque j’ai aussi acheté la BD Wendy project que tu avais présentée.
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Classique parmi les classiques que je n’ai pas encore lu, mais qui me tente, a fortiori après avoir lu ton avis. Ce que tu dis sur l’aura de Lewis Carroll sur le texte m’interpelle…
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Disons qu’il y a des échos dans la place accordée au rêve et à l’enfance. Et puis l’éducation d’Alice trouve des échos avec celle de Wendy. (Mais Barrie est bien plus sage que Carroll.)
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A te lire et à lire d’autres chroniques sur des classiques, je m’aperçois que nous sommes fortement influencé(e)s par l’image transmise par des films, on-dits, etc…. de classiques et que lorsqu’on s’y plonge on y découvre d’autres messages et surtout l’écriture originelle et comment celle-ci a pu être déformée parfois….. Encore un qu’il va falloir que je découvre dans le texte pour me faire ma propre opinion 🙂
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Je mets souvent un point d’honneur à délaisser le film tant que le livre n’est pas lu. C’est parfois frustrant mais cela m’impose moins la lecture d’un autre. Avec Peter Pan, Disney est évidemment passé par là. Je suis curieuse de le revoir à travers mes yeux d’adulte.
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Oui mais pour Peter Pan par exemple nous l’avons tous vu étant enfant et il y a donc une sorte de « mise en condition » dès l’enfance 🙂
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Ah oui absolument. C’est ce que je disais justement dans ma réponse. ☺️
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Un titre parfait pour l’évasion ! Ce voyage au pays imaginaire de l’enfance me tente beaucoup. J’
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J’ai envie de découvrir ce Peter Pan pas si sympathique. Pardon pour le loupé du commentaire, je profite d’être en télétravail pour essayer d’aller lire tout le monde mais sur mon téléphone, pas avec l’ordi du boulot (chut). Et je ripe facilement sur les touches !
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Haha. Je vois que nous avons la même conception du télétravail !
Tu seras servie avec lui. Une vraie tête à claques. Mais il sait aussi être touchant et émouvant dans sa solitude éternelle et sa capacité à oublier si vite les beaux comme les mauvais moments.
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(et puis ça met un peu de suspense dans les commentaires.)
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Quelle belle idée de lecture pour replonger en enfance!
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C’est un texte qui offre effectivement cette possibilité-là!
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Un texte qui m’a vraiment surprise : moi qui m’attendais à m’attacher aux personnages et à trouver un conte un peu féerique, je n’ai apprécié personne et j’ai trouvé l’atmosphère bien plus glauque que ce à quoi je m’attendais !
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Je comprends tellement ton ressenti. Peter Pan est sacrément insupportable. Je suis plus touchée par la Wendy adulte et l’émotion suscitée par tout ce qu’elle accepte de laisser derrière elle. Quant à l’univers, il est bien plus sombre et cruel qu’il n’y paraît.
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Je crois être un peu passée à côté des émotions suscitées par cette fin, la faute peut-être à ma lecture en VO…
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En VO ! Bravo. Je m’incline. J’en suis incapable !
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Il n’y a pas de quoi, je ne lis pas souvent en anglais car ça me demande beaucoup plus de temps. Mais j’aime bien de temps en temps renouer avec la seule langue étrangère que je comprends à peu près !
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je n’ai jamais eu l’idée de lire ce livre, mais ton billet m’en donne envie; Les films de Walt Disney rendent un monde à l’au de rose toujours identique et qui n’ai qu’un vague rapport avec le livre dont les films s’inspirent.
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Je l’ai lu il y a longtemps (mais pas commenté, une blogueuse s’employait alors à insulter quiconque osait évoquer ce livre qu’elle seule pouvait comprendre), j’en garde le souvenir d’un livre assez sombre. Je vais peut-être le relire, « La Maison dans laquelle » m’y a beaucoup fait penser.
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Waouh quelle folle histoire! Je n’ai jamais eu vent de cette appropriation littéraire excessive à souhait…C’est effectivement sombre et ce que tu dis pour « La maison dans laquelle » me réjouit d’avance car il est sur ma PAL.
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Très belle chronique ! c’est très tentant 🙂
Bonne journée !
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J’avoue que le Peter Pan de Disney ne m’a jamais attirée. J’ai préféré la version Hook 🙂
Ce que tu dis du personnage ne m’étonne pas et je ne suis pas très intéressée de découvrir ce roman. (Par contre, la couverture est très jolie 🙂 )
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Moi c était l’inverse. Je n’ai pas vu Hook et j’avais adoré Peter Pan !
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Je suis assez branchée Peter Pan en ce moment par le biais de ma fille. Nous écoutons et lisons le livre CD paru chez Didier jeunesse https://didier-jeunesse.com/collections/livres-disques-contes-histoires/peter-pan-wendy-9782278065295 et elle veut voir Hook. Et du coup, ton beau billet me donne envie de nous plonger dans le roman…!
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J’ai très envie de découvrir ce classique, comme beaucoup de contes qui ont inspiré les films Disney !
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C’est intéressant de se frotter une fois adulte à ces textes qui ont nourri notre imaginaire d’enfant.
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