L’été de tous les possibles
J’avais le visage de mon père et le physique de ma mère. Ils se disputaient encore mon âme.
Avant que Daniel Price ne réponde à la question obsédante qui le taraude – à savoir jusqu’à quel âge a-t-on encore la vie devant soi ? – le jeune garçon a surtout l’été devant lui. Et cet été-là concentre tous les espoirs de ce que pourrait offrir l’avenir et toute la mélancolie d’une époque qu’on laisse derrière soi. Leur diplôme en poche, Daniel, Freud et Misiora rêvent d’ailleurs, d’échappées belles et de contrées loin de l’East Chicago où ils ont grandi. Mais les vacances à peine commencées dessinent très vite des chemins de traverse. Un père malade, une rencontre à vous remuer les tripes à et à vous arracher le cœur, des envies de grandir plein la tête et des choix qui les éloigneront les uns des autres durant ces derniers mois qu’ils étaient censés partager.
À la maison, mon père et ma mère alternaient entre mutisme et hostilité déclarée. Lorsqu’ils se parlaient, c’était pour se faire souffrir. Et quand ils gardaient le silence, c’était pour mettre au point de nouvelles armes.
Pour Daniel, croiser Rachel vient l’arracher à ses mornes journées. Plus rien ne compte puisqu’elle lui suffit. Mais la demoiselle ne lui facilite pas la tâche tant sa complexité donne du fil à retordre au jeune premier. Cette jolie brune à la fois solaire et ténébreuse, profondément insaisissable, marquera plus que jamais cette saison d’entre deux vies.
Le problème avec l’amour, reprit-il autant pour lui que pour moi, c’est que c’est à la fois un poison et un antidote – et qu’on ne sait jamais vraiment lequel des deux on avale.
Se trouver avant toute chose
Véritable roman d’éducation, Price est le récit d’une fin d’adolescence dans un trou paumé de l’Amérique populaire. Le héros, dont la candeur touche ou agace, a assurément autant à perdre qu’à gagner dans cette parenthèse estivale dont les oscillations quotidiennes le déstabilisent. Cocon amoureux, cercle familial, trio amical, ce roman questionne les grands piliers de nos existences et analyse avec finesse la manière dont ils vous construisent ou s’effritent sous des yeux hagards et des corps impuissants.
-Écoute, Daniel, dit-elle doucement, pourquoi vivre un malentendu alors que nous pouvons vivre une tragédie?
Ce roman, c’est l’histoire de rêves d’adolescents avortés avant même d’avoir eu le temps d’être fantasmés ou pleinement vécus. C’est la perte de l’innocence, l’abandon progressif de l’enfance sacrée. C’est l’histoire d’une envie folle de liberté dans une ville qui étouffe et gangrène les envies d’ailleurs et qui vous impose une destinée qui vous retient à défaut de vous faire aller de l’avant. J’ai souvent pensé à Arturo Bandini de Fante en lisant la seconde moitié de ce roman. Je trouve que Daniel Price a – en germe – quelque chose de ce héros tourmenté parfois submergé par son orgueil et ses aveuglements naïfs. L’épreuve de ces jours imparfaits lui apportera assurément bien plus qu’il ne l’imaginait en quittant les bancs du lycée.
Peut-être les livres étaient-ils plus faciles à comprendre et à aimer que les gens.
J’ai ainsi goûté une nouvelle fois à la magie désabusée de la littérature américaine, sensible en bien des points aux nombreuses interrogations du héros mais aussi à cette relation si douloureuse et ambiguë qu’il entretient avec son père. Un premier roman qui ne lésine pas sur ce sens aigu de la psychologie des personnages aux vies trop petites pour eux. Le portrait émouvant et terrible – qui ne se prive pas de sa part de lumière – d’une génération saisie par la plume de Tesich juste avant qu’elle ne bascule définitivement dans les désillusions de l’âge adulte.
Prolongements littéraires:
- Lire Karoo, l’autre roman de Steve Tesich.
- Lire ou relire Nos enfants après eux de Nicolas Mathieu [Prix Goncourt 2018]
- Se lancer dans la lecture des romans de Fante. Et plus particulièrement le cycle Bandini.
Price de Steve Tesich Traduit de l’américain par Jeanine Hérisson et Monsieur Toussaint Louverture Éditions Points / Initialement paru chez Monsieur Toussaint Louverture 8.50 € / 528 pages / 2016 Lire l’ailleurs / Littérature américaine / En sortir 21 en 2021 (4/21) |
Tu en parles vraiment bien. On sent ce roman à travers ce billet, suffisamment pour que je ne sache pas si j’ai envie de me plonger dans leswmeandres des problèmes de cette jeunesse américaine.
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Merci Luocine. Pour le second point, toi seule décidera de la suite des événements !
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OK vendu !
Maintenant j’hésite entre la version poche et la version grand format 😂
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Ma mère adorée m’a offert Karoo et Price en poche. À cette époque, je n’étais pas encore amoureuse des éditions Monsieur Toussaint Louverture. L’écrin cartonné est classieux, évidemment !
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Comment résister ?!
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Je n’ai aucune idée du sens de ce 2e mot…
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Très très tentant! Je ne m’étais jamais intéressée à ce titre. Ta chronique me donne envie d’en savoir plus. J’aimerais aussi toujours découvrir les Bandini.
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Je le délaissais pensant qu’il s’agissait de la suite de Karoo. J’ai fini par apprendre que non et suis ravie de m’être plongée dans cette histoire-là! Pour les Bandini, je les découvre aussi sur le tard. (Conseil de mon amoureux qui aime beaucoup Fante.)
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Je n’ai pas lu Karoo, mais je lirai Price c’est certain, merci !
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Je l’avais aimé, mais je réalise en lisant ton billet que j’en avais tout oublié, sauf peut-être la mélancolie qui s’en dégage. Karoo m’a davantage marquée, mais il est différent, plus féroce, plus incisif.
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Je pense lire Karoo prochainement.J’aime assez l’idée de découvrir un auteur à travers deux romans assez opposés, tant dans le ton que dans le propos.
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Je n’ai pas accroché à Karim… Alors je passe 😉
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Alors, il n’a rien à voir mais vraiment rien à voir avec Karoo. (Dixit l’amoureux qui a lu Karoo et qui lit actuellement Price.)
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Cette thématique qui m’est si chère…
Tu cites en prolongement « Nos enfants après eux » (oui bien sûr, je sais) mais ça n’a pas collé du tout pour moi, alors que faire?!
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Ce n’est qu’un rapprochement thématique… Un écho rien de plus. (Bref, tente avec Price, vraiment.)
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Le dernier roman que j’ai lu sur le sujet m’était tombé des mains.
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Lequel?
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Ohio, de Stephen Markley, pourtant primé.
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Pas lu. Mais beaucoup vu sur Instagram et autres réseaux.
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Littérature américaine, adolescence et une édition signée Monsieur Toussaint Louverture, Je note sans hésitation. 😍
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Voilà qui me ravit et ne me surprend pas vraiment !
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Typiquement la littérature qui m’attire. J’ai Karoo dans ma bibliothèque, toujours pas lu. Tu me donnes envie de l’en sortir encore plus vite, encore une fois c’est le temps qui va me manquer, mais un jour viendra bien 😉
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Comme toi Karoo m’attend. Et je sais qu’en terme de gestion de PAL, nous avons ce même rapport au manque de temps!
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