Et mon coeur fait boum·L'Art du Roman

Il est juste que les forts soient frappés – Thibault Bérard

Oui. On est bien, tous les deux. On se nourrit l’un de l’autre avec un appétit de lionceaux. On rit très fort, on fait beaucoup l’amour, on déconne à pleins tubes – la vie hurle et c’est bon.

Telle une pièce de théâtre tragique, l’histoire de Théo et Sarah est scellée. Ils s’aiment, passionnément. L’un d’eux mourra, emporté par cette puissance supérieure qui n’a rien de divin. Ici, c’est le cancer, le crabe, la vicieuse saloperie. Qu’importe le nom qu’on lui donnera, le mécanisme odieux accomplira sa mission jusqu’au dernier souffle. Puisque Sarah mourra – privilège de son statut – c’est elle qui racontera. Raconter Théo, son grand amour. Raconter Simon et Camille. Raconter la voix de l’homme en blouse blanche au bout du fil. Raconter les ami·es. Raconter la femme aux yeux châtaigne. Dire le monde qui gravite bon gré mal gré autour d’eux dans ce drame où les émotions de chacun ont des allures de funambule. Là, sur le fil du récit, l’on tente d’apprivoiser le décompte initié par les pages qui se tournent.

C’est une chose dont personne n’aime trop parler, parce que ça donne l’impression d’être affreusement égoïste, mais il est sûr qu’avec la compagnie des autres et – merde autant le dire – avec l’amour des siens, le seul vrai truc valable qu’on sacrifie dans l’affaire c’est ça : sa liberté. On la jette au feu des câlins du soir, des confidences échangées, des secrets tus et partagés, des chansons chuchotées, des étreintes ou des baisers. « Vivre libre », ça n’existe pas, c’est du vent – le premier mot tue le second comme une plante grimpante en étouffe une autre.

Mais contrairement aux tragédies classiques, le ton n’a pas la grandiloquence grave qui porte habituellement ce genre de sujet. Sans être totalement léger, le récit vient vous piquer par sa grande douceur et la manière dont sont relatés ces jours si compliqués. Entre humour – nécessaire – et impuissance – inéluctable – le juste ton impose son rythme. Comme les héros, l’on se réjouit des jours heureux et de l’optimisme qui les porte, et l’on se sent petits quand la maladie affirme sa toute puissance au-delà des accalmies.

Mais si rien ne bouge, alors il faut que tout s’arrête.

La littérature offre ce privilège insensé de faire parler les morts – et aurait parfois, paraît-il, le pouvoir de réparer les vivants. Il est évident qu’un tel récit peut difficilement laisser de marbre. Si le sujet est un de ceux que l’on pourrait fuir en le balayant d’un revers de main, il ne saurait se réduire à une histoire de maladie. Ce roman doit aussi se lire comme un roman d’amour, une déclaration passionnée et plurielle. Celle d’un père et d’une mère à leurs enfants, celle d’ami·es présents quand le cœur est à la fête ou au bord du gouffre, celle au cinéma et à la puissance de l’imaginaire, celle d’une femme (personnage sublime à l’arrivée tardive dans le roman) qui accompagne ses patients dans la lenteur des jours fragiles. Point de mélo à outrance dans ce roman qui a su s’écrire dans une grande sobriété de plume tout en parvenant à trouver les bons accords pour émouvoir sans jouer avec trop de facilité sur les ficelles lacrymales. L’on m’avait dit de prévoir les mouchoirs. Ils étaient là, tout près, tout neufs et bien pliés au fond de ma poche fébrile. Mais la gorge serrée s’est chargée d’encaisser ces passages qui disent toute la beauté et toute  l’humanité qui émanent de ces pages-là. Un premier roman qui en appelle bien d’autres.

Prolongements et réseaux littéraires : Ça raconte Sarah

Lien à venir : le VLEEL de la rencontre avec Thibault Bérard.

Il est juste que les forts soient frappés de Thibault Bérard
Éditions J’ai Lu / Éditions de l’Observatoire
7.60€ / 320 pages / 2021
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11 réflexions au sujet de « Il est juste que les forts soient frappés – Thibault Bérard »

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