On n’était pas vraiment en vie ; on s’en approchait, mais on n’y arrivait jamais. On allait mourir. Tout le monde allait mourir. Même toi, Arturo, même toi faudra bien que tu meures un jour.
Comme il est grisant pour Arturo Bandini, écrivaillon ayant élu domicile dans la banlieue triste de Los Angeles, de voir son nom associé à une publication dans une revue. Vivant sans le sou dans une chambre d’hôtel minable, il n’a que le mensonge et sa plume pour espérer sortir de la misère dans laquelle il s’est enlisé, persuadé d’avoir une place à prendre -parmi les génies de son siècle – dans le milieu littéraire qui n’attend pourtant pas spécialement après lui…
Los Angeles donne-toi un peu à moi ! Los Angeles, viens à moi comme je suis venu à toi, les pieds sur tes rues, ma jolie ville je t’ai tant aimé, triste fleur dans le sable, ma jolie ville.
Son quotidien sans panache fait de lui un loser dont le ridicule et les excès ont la capacité d’attendrir ou d’agacer d’une page à l’autre. Gonflé d’orgueil et de certitudes, il vivote et se rend un jour dans bar-diner miteux qui lui va comme un gant. Le point de chute par excellence – dans tout ce que cette expression peut signifier – puisqu’il va y rencontrer une serveuse aussi instable et paumée que lui. Incapables de communiquer, ces deux personnalités qui détonnent passeront leur temps à se provoquer, enrobant leur désir de méchanceté, sans réellement parvenir à trouver la bonne cadence, leurs mots et leurs indélicates attentions constamment à contre-temps. Mais qu’importe puisqu’il aime Camilla, d’un amour transi et bancal, d’un amour déraisonné et pulsionnel.
Ah, et puis va te faire mettre, Camilla, je peux bien t’oublier. J’ai de l’argent. Les rues sont pleines de choses que tu ne peux pas me donner.
Roman de la solitude qui ronge, roman de l’errance, Demande à la poussière vous fait fouler le sol d’une ville qui n’a pas la splendeur de sa réputation. Seul l’océan semble être majestueux et magnétique face à ce bord de mer témoin des frasques des petites gens qu’on oublie et qu’on abandonne, livrées en pâture à une société qui ne leur permet pas vraiment d’exister. De ce monde-là, surgit un héros inclassable, profondément désabusé comme le sont les personnages de Fante.
Une chose était certaine: Arturo Bandini n’était pas bon pour Camilla Lopez.
Arturo Bandini peine à voir au-delà de sa plume-nombril, assumant totalement son exaspérante mauvaise foi et sa profonde asociabilité. À ses éclats de fierté se mêlent des névroses ingérables que ses angoisses entretiennent, venant malmener son insupportable superbe. Mais sous ce portrait peu flatteur, le lecteur découvrira aussi un personnage corseté par son besoin incommensurable d’amour et de considération. Et durant toute sa lecture, il l’observera, comme un noyé en détresse, comme une âme en perdition, lui accordant la seule tendresse que quiconque lui ait jamais offerte.
Est-ce que les morts reviennent ? Les livres disent que non, la nuit hurle que si.
Lire Fante, c’est côtoyer une plume qui sous son apparente oralité vous pique par de sacrés coups d’éclats. L’auteur vient gratter ce qu’il faut de terre et de sable pour exhumer cette part d’humanité qu’on ne soupçonne pas lorsque l’on croise ses héros pour la première fois. Alliant une prose dans laquelle le banal s’offre de véritables fulgurances poétiques, l’on se laisse prendre au jeu d’une littérature qui, si elle ne convainc pas toujours de manière immédiate, finit par s’emparer de vous en vous marquant durablement. Incontestablement, le talent de Fante semble aussi insaisissable que ses personnages et c’est assurément pour cette raison que je l’aime autant.
Sur toute cette désolation régnait une suprême indifférence, juste une nuit qui prenait fin et un jour de plus qui commençait, et pourtant l’intimité secrète de ces collines, leur merveilleux silence consolateur, faisait de la mort une chose de peu d’importance. Vous pouviez toujours mourir, le désert demeurait là pour cacher le secret de votre mort, resterait là pour recouvrir votre mémoire de vent sans âge, de chaleur et de froid.
Prolongements littéraires :
- Le cycle Bandini : « Quatuor Bandini »
- Demande à la poussière.
- Sur la route de Los Angeles
- Bandini
- Rêves de Bunker Hill
- Le cycle Molise :
- Les Compagnons de la grappe
- Mon chien stupide
Prolongement thématique « Figures d’écrivains »: Martin Eden – Jack London
Demande à la poussière de John Fante Traduit de l’américain par Philippe Garnier Éditions 10/18 7,10€ / 272 pages / 1939 Littérature américaine / Les classiques c’est fantastique / En sortir 21 en 2021 |
Je ne me souviens plus l’avoir lu celui-là… La route de Los Angeles c’est sûr mais j’ai un doute pour Demande à la poussière 😅
Soit. Je suis contente de voir de la littérature américaine par ici 😉
J’aimeAimé par 1 personne
Il risque d’y en avoir de plus en plus. Et je crois que ça me plaît aussi…
J’aimeAimé par 1 personne
Un auteur qui m’intrigue et qui me fait peur à la fois…. Pourquoi ? Bonne question : réponse : aucune…. Alors il est au programme…. Maudite PAL 😦
J’aimeAimé par 1 personne
J’avais adoré, merci de m’avoir fait remonter tous ces bons souvenirs…
J’aimeAimé par 1 personne
Oh mais tout le plaisir est pour moi !
J’aimeAimé par 1 personne
Quitte à lire Fante une première fois, je commencerais bien par celui-ci. Il me tente.
J’aimeAimé par 1 personne
Je vais m’empresser de lire tous ceux où il est justement question de ce Bandini.
J’aimeJ’aime
après mon chien stupide j’avais pensé continuer à lire cet auteur , merci pour ce petit rappel!
J’aimeJ’aime
J’ai préféré ce titre à Mon Chien stupide. (Aimé aussi d’ailleurs.) Le prochain sera Bandini.
J’aimeJ’aime