Les classiques c'est fantastique·Neuvième art

Au Bonheur des dames – Agnès Maupré d’après Émile Zola

Avec l’étiquette de petite provinciale qui lui colle à la peau, Denise n’est assurément pas la bienvenue dans ce Paris en plein essor, qui voit sa manière de consommer révolutionnée par l’émergence des grands magasins. Son oncle, propriétaire d’un petit commerce en perdition, n’a même pas de quoi honorer la promesse qu’il lui avait faite à la mort de ses parents. Nulle place pour elle dans sa petite boutique de tissus puisqu’il peine lui-même à faire du chiffre… Il faut dire que la concurrence est rude et qu’il semble difficile de survivre face à cette machine lancée à folle allure qu’est Au Bonheur des dames. Dirigé par Octave Mouret, jeune et charmant veuf ambitieux, le magasin connaît un succès que rien ni personne ne semble pouvoir contrer et ces dames émoustillées flambent leur argent, affirmant à chaque achat leur place dans ce nouveau monde qui les plume en cherchant à les vêtir.

Ces hommes à bagout entortillent les femmes. Ils les noient dans leur bavardage de camelot, leur passion et leurs idées folles.

Engagée par Mouret, Denise subit ses journées de travail. Moquée, humiliée, dénigrée… Chaque jour, l’occasion est trop belle pour ses chipies de collègues qui s’amusent de sa candeur et de sa maladresse. Mouret, bien trop accaparé par ses affaires, regarde d’un œil tendrement moqueur cette silhouette qui dénote au milieu de ses vendeuses. Trop occupé à conquérir les femmes et le monde des affaires, il ne se doute pas un seul instant que cette femme va bouleverser sa vie, et sa vision du monde.

Il lui donne tout, elle ne lui donne rien. Il est frustré, forcément. […] Que c’est bête d’aimer quelqu’un qui ne vous aime pas.

C’est à un monument que s’est attaquée Agnès Maupré. Cette œuvre de Zola est une de celle les plus lues et appréciées de la fameuse saga des Rougon-Macquart et ce n’est pas chose aisée que de se frotter à un tel roman. L’adaptation se veut fidèle aux grandes lignes pour les non-initiés mais – coupes/choix scénaristiques obligent – certains scènes manquent à l’appel, pour mieux souligner toute la tension de l’intrigue amoureuse entre Denise et Octave.

Toute la mise en scène d’Agnès Maupré se révèle finalement bien trop scolaire et n’offre que de trop rares tentatives d’interprétation de cette histoire qui gagnerait à ce qu’on lui accorde un peu plus d’épaisseur (et moins de légèreté). La dessinatrice s’aventure pourtant de temps à autre vers une lecture un peu plus originale du roman zolien – lorsqu’elle transforme notamment Denise en naïade à la chevelure ondoyante – une lecture singulière qui aurait dû – à mon sens – être plus longuement explorée.

Si le dessin enrobe à l’envi les personnages de tissus et d’étoffes, il a quelque chose dans le trait – et la couleur – qui ne sied pas à un tel univers. Les personnages semblent tremblants, malingres, noyés dans des couleurs sans nuance et le tout manque hélas de volupté. Quant aux manipulations qui les unissent, il est assurément regrettable qu’elles ne soient qu’effleurées alors qu’elles sont le cœur même de ce récit. N’oublions pas que cette boutique est une ruche et que nombreuses sont les vendeuses qui se disputent la place pour être reine. Enfin, l’on sait Zola particulièrement coutumier des métaphores filées et des références symboliques, ainsi, toute la dimension charnelle qu’il donne à son œuvre fait ici cruellement défaut. Où est donc passé cet érotisme latent, lui qui fait tant dans ce roman pour sceller silencieusement la passion qui dévore les héros? J’entends bien évidemment qu’adapter une œuvre littéraire implique de faire des choix et qui plus est lorsqu’il s’agit d’un texte aussi dense que celui-ci, mais force est de constater que je ne partage totalement pas ceux d’Agnès Maupré.

Mais enfin, cela est-il donc si inconcevable qu’une fille ne veuille pas ! Ne veuille tout simplement pas d’un homme et qu’elle se refuse.

Une lecture que je partage avec ma Fanny pour notre semaine célébrant les classiques qui nous parlent d’amour.

Ma chronique du roman que j’ai beaucoup aimé.

Cette semaine Chez Noukette
Au Bonheur des dames
D’après Émile Zola, adaptation d’Agnès Maupré
Couleurs de Grégory Elbaz
Éditions Casterman
20 € / 135 pages /2020
On a une relation comme ça Émile Zola et moi / Les classiques c’est fantastique!

33 réflexions au sujet de « Au Bonheur des dames – Agnès Maupré d’après Émile Zola »

  1. Comme je te l’écrivais sur IG, le roman a été l’une de mes seules lectures scolaires appréciées. Je n’ai pas (encore ?) voulu le relire pour ne pas abîmer mon bon souvenir (j’irai lire ton billet cependant).
    J’aime les adaptations BD et celle-ci m’a tapé dans l’oeil dès sa sortie. J’ai prévu de la lire le mois prochain…. J’espère être plus enthousiaste que toi (d’autant que je ne me souviens pas des détails du roman, ne me reste que des impressions). Je croise les doigts!

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    1. La relecture pour ce genre de texte est une épreuve de l’ordre du « quitte ou double ». Si jamais tu te lances, je te souhaite sincèrement de l’aimer encore plus. Je l’ai découvert tardivement en ce qui me concerne…

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  2. Oh zut, au départ je me suis dit que cet album aurait eu sa place au CDI (les 4e le lisent cette année encore), mais tu as bien vite douché mon enthousiasme avec ton avis négatif argumenté… Bref, pas d’adaptation BD pour les élèves pour le coup…

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  3. en commençant je me disais une BD pour me reconcilier avec Zola pourquoi pas (ce n’est pas la première fois que je dis ça, mais j’ai toujours pas sauté le pas) mais à te lire je me dit que si je devais ne choisir qu’une BD pour me reconcilier avec cet auteur faudrait peut-être pas que je choisisse celle-ci

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  4. Je ne trouvais pas la couverture attrayante et la planche que tu proposes ne me fait pas changer d’avis. Si tu es déçue de cette adaptation, je n’essaie même pas. En revanche, tu m’as diablement donné envie de lire Au bonheur des dames, que je n’ai encore jamais lu. Et j’en suis encore loin.

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