Et mon coeur fait boum·L'Art du Roman·Que jeunesse se fasse...

L’Année de grâce – Kim Liggett

Nous sommes deux fois plus nombreuses qu’eux, mais nous nous retrouvons enfermées dans une chapelle, à attendre qu’ils décident de notre destin. N’est ce pas cela, le véritable tour de magie?

Tu seras une femme ma fille…
Mais à seize ans, ton corps, ta personnalité, ce que tu es viscéralement deviendront un danger. Alors tu seras évincée, mise de côté. Soumise à l’exil comme la pire des épreuves. Jolie proie pour un triste sort. Parce que tu deviens femme, on se méfiera de toi. Il faudra contenir la magie de ton âge, ta magie. Celle que craignent tant les hommes et les femmes de ta communauté.

Elles appellent cela de la magie. Moi, j’appelle ça de la folie. Une chose est sûre. La grâce n’existe pas, ici.

Dans cet enclos qu’ont connu ta mère, tes sœurs ainées, toutes les femmes du village, la seule règle qui compte est de survivre: aux autres, aux braconniers qui rôdent et pour lesquels ta peau vaut de l’or, à toi-même et à ton esprit de révolte et de contradiction. Reviendras-tu de ce bannissement imposé par la société qui t’a enfantée ? Oseras-tu dire non à ceux qui t’enferment dans ce mauvais rôle ? Choisiras-tu le silence comme toutes celles qui reviennent ? Seul l’avenir peu radieux — te le dira…

Mais ce qui semblait si inoffensif au début finit par prendre des allures plus inquiétantes. N’est-ce pas toujours ainsi que l’horreur s’installe ? Peu à peu, sans crier gare, un cran a la fois ?

Quelle plus jolie manière de commencer l’année? Voilà un roman profondément engagé, qui explore intelligemment le féminisme et la féminité. L’Année de Grâce est une dystopie glaçante par ses échos étrangement familiers, par ses combats toujours à mener. Un roman dont on souligne souvent les liens étroits avec Hunger Games et La Servante écarlate. Il y a de ça il est vrai, dans son rapport à la captivité et le fait de subir l’oppression d’une figure tyrannique, avec, peut-être,  un peu plus de pudeur et un peu moins de goût pour le « spectaculaire » en dépit de certaines tensions éprouvantes. Mais qu’importe sa parenté littéraire, il est assurément à mettre entre des mains adolescent·es – et pas que – pour un moment de lecture marquant qui appelle indéniablement à la réflexion.

Besoin désespéré du souvenir, mais profond soulagement de l’oubli.

Qu’est-ce qu’être une femme dans un monde qui vous impose de vous taire, d’être l’épouse, la soumise, la taiseuse? Qu’est-ce qu’un monde qui ne vous offre que l’ombre et le silence? Qu’est-ce qu’une société qui condamne sans vergogne la moitié de sa population à un cruel rituel qui traumatise en vous dépossédant de votre dignité et de votre singularité? Il semblerait que L’Année de grâce tente d’apporter des réponses à ces questions fondamentales-là.

Le confort n’apporte pas la liberté ; ses chaînes moelleuses seront toujours des chaînes.

L’Année de grâce de  Kim Ligget
Traduit de l’anglais (US) par Nathalie Peronny
Éditions Casterman jeunesse
19,99€ /  448 pages / 2020
DystopiesQue jeunesse se fasse…

17 réflexions au sujet de « L’Année de grâce – Kim Liggett »

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