Et mon coeur fait boum·Les classiques c'est fantastique

Vipère au poing – Hervé Bazin

Outre notre éducation, madame Rezeau aura une grande passion: les timbres. Outre ses enfants, je ne lui connaîtrai que deux ennemis: les mites et les épinards.

Il la hait. Viscéralement. Cette femme dont il retrace l’ascendance durant ces premières pages qui donneraient presque envie de refermer aussitôt le roman. Cette femme, sa mère, celle qui ne saurait être associée au moindre mot tendre. Plutôt que d’être aimante, elle choisira la voie du mépris et de la défiance. Plutôt que de se tolérer courtoisement, le défi de se détester de la plus virulente des manières sera tacitement lancé. Et s’ils sont incapables de s’aimer, de bien moins nobles sentiments feront l’affaire, et autant dire que le jeune narrateur en colère mettra un point d’honneur à s’attaquer à cette vipère austère prête à distiller son venin partout où il sera en mesure de s’infiltrer.

Je te cause, Folcoche, m’entends-tu ? oui tu m’entends. Alors je vais te dire : T’es moche ! Tu as les cheveux secs, le menton mal foutu, tes oreilles sont trop grandes. T’es moche, ma mère. Et si tu savais comme je ne t’aime pas. Je te le dis avec la même sincérité que le « va, je ne te hais point » de Chimène, dont nous étudions en ce moment le cornélien caractère. Moi, je ne t’aime pas. Je pourrais te dire que je te hais, mais ça serait moins fort. Oh ! tu peux durcir ton vert de prunelle, ton vert-de-gris de poison de regard. Moi, je ne baisserai pas les yeux.

Commence alors un jeu malsain, une lutte de pouvoir et d’influence, de regards en coin, de coups bas. Rendre pénible l’existence de l’autre devient une exigence quotidienne et tenace. Une surenchère qui n’évince et ne néglige aucun moyen dans son insolente stratégie. Comme le dit si bien le narrateur, la haine, beaucoup plus encore que l’amour, ça occupe. Dans cette famille-là, le père s’efface, fade et veule, derrière la malveillance de son épouse qui manie avec dextérité sa terrible violence aux multiples facettes, comme autant d’armes cruelles pour gagner un combat sans merci. Se détester coûte que coûte, vaille que vaille. Et qu’importe l’injonction d’amour filial à tout prix: dans l’esprit de Folcoche il n’est que foutaises.

J’entre à peine dans la vie et, grâce à toi, je ne crois plus à rien, ni à personne. […]Celui qui n’a pas cru en sa mère, celui-là n’entrera pas dans le royaume de la terre. Toute foi me semble une duperie, toute autorité un fléau, toute tendresse un calcul. Les plus sincères amitiés, les bonnes volontés, les tendresses à venir, je les soupçonnerai, je les découragerai, je les renierai. L’homme doit vivre seul. Aimer, c’est s’abdiquer. Haïr, c’est s’affirmer. Je suis, je vis, j’attaque, je détruis.

Alors qu’on hisse au rang d’idéal le statut de mère, alors que la maternité semble conférer aux femmes – dans les esprits étriqués – une intouchable respectabilité, voilà un roman qui brise cette aura divine et déconstruit avec un cynisme et un humour grinçant sans borne la relation mère-fils. Hervé Bazin n’a jamais nié les échos autobiographiques de son roman et écorche sans vergogne la figure maternelle à coup d’encre noire et de plume qui griffe.

Nous étions installés sur nos rancunes comme les fakirs sur leurs lits de clous.

Sans nul doute, Madame Rezeau aurait pu rester dans la case des illustres personnages inconnus. Mais en la dépossédant de son nom, en l’immortalisant sous celui de Folcoche, elle fait une entrée remarquée dans l’histoire littéraire comme un des personnages les plus détestables de la littérature. L’auteur grave ainsi les petitesses insidieuses dans ce roman familial cinglant, il immortalise les gestes interdits, il consigne les mots qui ne se contentent pas d’être pensés. Dans ces pages, la rancœur frémit, la colère bout, la haine se crache au visage. Et quelle plus terrible vengeance assouvie contre cette mère odieuse que  celle de la faire vivre éternellement dans ce livre-tombeau, clamant inlassablement à ses lecteurs combien elle fut trop bien trop infecte pour mériter d’être oubliée.

Tu n’es qu’une femme, et toutes les femmes paieront plus ou moins pour toi. J’exagère ? Écoute… L’homme qui souille une femme souille toujours un peu sa mère. On ne crache pas seulement avec la bouche.

Deuxième chronique pour cette semaine en famille. Lundi, je vous parlais de frères ennemis avec Pierre et Jean de Maupassant.

Fanny aussi vous propose un nouveau titre ce mardi…

BO des pages tournées : Ma Mère Eddy de Pretto

  • Autre portrait de mère peu-reluisant-mais-tout-de-même-sacrément-captivant: Médée
Vipère au poing d‘Hervé Bazin
Éditions Le Livre de poche
4,60€ / 188 pages / 1948
Les classiques c’est fantastique!

18 réflexions au sujet de « Vipère au poing – Hervé Bazin »

  1. Bon, eh bien, de mon côté j’ai publié les 3 billets lundi 😛
    J’adore ce roman, la description est super, tu me donnes envie de le relire ; j’ai vu les deux films : l’ancien avec Alice Sapritsch et le plus récent avec Catherine Frot excellente.

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