BD de la semaine·Et mon coeur fait boum·Neuvième art

Anaïs Nin – Sur la mer des mensonges – Léonie Bischoff

Je ne serai jamais une seule femme, ou l’amante d’un seul homme. Je vais vivre ces multiples vies, explorer les mille facettes de mon être, et vivre avec passion, de toutes mes forces. En refusant la maternité, j’ai aussi fait disparaître la petite fille en moi. Je n’ai plus besoin d’un père.

Portrait d’artiste

Comme ils peinent à rester indifférents et insensibles à ce joli minois. Comme ils succombent, ces hommes et se retrouvent vite sous ses draps. Comme elle attire, comme elle séduit celle dont le chignon impeccable finit par dévoiler une chevelure envoûtante digne d’une naïade ou d’une sirène des légendes germaniques.

Je suis le miroir des désirs des hommes. Et les personnages que j’incarne pour eux allument le feu de leur créativité.

Épouse d’un petit banquier qui lui offre une vie confortable, Anaïs Nin – artiste et autrice en devenir – s’ennuie un peu face à cet homme qu’elle aime mais qui semble assurément trop lisse pour elle. En attendant que son Œuvre trouve son lectorat, Anaïs rédige son journal de manière compulsive. Deux carnets, comme deux facettes d’une même personnalité aussi singulière que romanesque. Dans ce jeu de dupe, de pile ou face, le mensonge ou la vérité glissent sur une mer d’encre et de papier, esquissant, au fil des lignes, le portrait d’une femme insaisissable et profondément irrévérencieuse.

Je me révolte un peu lorsque l’on me reproche mes mensonges. Ce sont des mensonges qui protègent et qui donnent la vie.

Le goût du scandale

Quand elle croise le chemin du célèbre Henry Miller, sa créativité et ses désirs d’écriture n’en deviennent que plus prégnants. Cet homme participe de sa libération et ôte les carcans qui n’attendaient plus vraiment pour exploser et laisser éclore une femme dans toute sa sensualité et son érotisme latent. Ces deux-là se cherchent, se trouvent sans mal et partagent une passion fusionnelle qui estompe les frontières entre l’attirance physique et intellectuelle.

Les gens souffrent de leur folie parce qu’ils ne savent qu’en faire. Les artistes y plongent, s’en parent comme d’un costume, y découvrent d’autres vies.

Sulfureuse et scandaleuse Anaïs Nin… Fidèle à ses désirs et ses pulsions, elle est aussi désespérément volage et cède volontiers aux appels incessants d’un corps qui cherche d’autres sexes, d’autres peaux. Cet attrait-là n’admet aucune limite et s’émancipe de tous les interdits puisqu’elle ne craindra pas d’aller expérimenter l’immoralité de la façon la plus extrême qui soit. Qu’importe son flacon, Anaïs Nin n’est qu’ivresse. Ivresse de vivre, d’aimer, d’expérimenter, d’écrire, d’aller vers l’autre. Sa sagesse et sa philosophie dérangent, dénotent. Mais elle s’en moque. Elle se laisse dévorer ou dévore dans un jeu de séduction qui ne craint rien ni personne.

Nous n’avons pas besoin de nous mentir. Et pourtant, nous le faisons.

Impossible de passer à côté de ce titre plébiscité du côté des albums qui ont fait leur rentrée littéraire. Dès les premières planches, le lecteur est plongé au cœur d’une terrible tempête, métaphore visionnaire de ce que sera la vie intérieure de l’héroïne. Léonie Bischoff s’attaque à une figure féminine qui fascine, agace ou dérange et raconte la célèbre diariste avec un talent indéniable. Elle laisse deviner l’ébullition créatrice de cette femme derrière des crayons de couleur talentueux et mouvants. Son trait provoque un tourbillon graphique grisant qui sied à cette femme diaboliquement sensuelle. La profusion de couleurs et de motifs floraux rend certaines planches fabuleuses et renforce l’aura déjà incroyable de ce personnage licencieux. Toute la dualité du cette femme se retrouve également dans les choix d’illustrations qui jouent sur les reflets et la figure du double qui hante parfois l’esprit de cette femme. Le trait rond ou tortueux donne – d’une bien jolie façon – corps à ses névroses et l’omniprésence du beau ferait presque oublier que ses démons ont aussi un visage humain.

Les chroniques de Noukette et Fanny.
Le site de Léonie Bischoff

Anaïs Nin – Sur la mer des mensonges  de Léonie Bischoff
Éditions Casterman
23,50€ / 192 pages /2020
Chez Noukette

35 réflexions au sujet de « Anaïs Nin – Sur la mer des mensonges – Léonie Bischoff »

  1. Je l’ai lue avec un immense plaisir moi aussi, et cela m’a donné envie d’enfin la découvrir. J’aimerais quand même savoir si sa vie tournait autant autour de sa sensualité/sexualité/vie amoureuse, je trouve que les biographies adoptent trop souvent ce seul angle.

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  2. j’avais noté cette BD en la voyant passer chez nos camarades bédéphiles, j’avoue que le sujet ne m’intéresse pas vraiment, je ne connais pas Anïs Nin et elle ne m’intéresse pas vraiment comme personnage, mais en revanche je suis amoureuse du graphisme, j’i vraiment envie de découvrir cette BD

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  3. Je n’arrive pas encore à poser des mots sur cet album. J’ai aimé certaines choses, lassée par le dessin au bout d’un moment, et je suis assez perplexe devant de femme « libérée ». Pour avoir lu un peu, trop peu, Anaïs Nin, je m’attendais à une femme vraiment libre dans sa tête, son corps, ses moeurs, et je l’ai trouvée ici très aux prises des hommes finalement. Elle s’offre, accepte, mais finalement peu actrice j’ai trouvé. Je l’ai trouvé touchante, en décalage avec son époque, à se débattre avec elle-même. Mais je suis assez surprise finalement de lire tant de choses sur sa liberté alors qu’elle apparaît presque soumise aux hommes en fait. Enfin c’est assez difficile à décrire par écrit comme ça, je vais laisser mûrir encore un peu. En tout cas, tu en parle très bien, et je suis ravie que l’on parle de cette femme encore trop méconnue. Je me garde ses journaux sous le coude du coup 🙂

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      1. J’ai lu les années 1931-1934 de son journal, mais j’avoue que je ne suis pas vraiment emballée. Un peu trop de blabla, un côté surjoué en mode drama, trop de rôles et de mensonges. Quelques passages m’ont vraiment touchée, mais pas assez pour me donner envie de continuer l’aventure…

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