BD de la semaine·Neuvième art·On s'poile.

Castelmaure – Lewis Trondheim & Alfred

Tu aimes les histoires, hein? Alors je vais te conter la mienne… Et après tu me laisseras mourir…

Deux royaumes – autrefois reliés par un immense pont – sont désormais séparés et dans l’attente vaine du retour de leur Roi disparu il a plus de vingt ans. Un mythographe – un poil naïf mais d’une curiosité coriace – crayon en main et esgourdes grandes ouvertes, interroge tous les anciens pour consigner toutes ces histoires que l’on aime se raconter pour se faire peur ou s’occuper quand l’heure est venue de se réunir: un chasseur amnésique, une sorcière effrayée par un enfant qui n’inspire guère confiance, une jeune femme qui maudit viscéralement tout homme lui adressant la parole, un cadavre dévoré par une bête cruelle et sauvage… Que de curieux événements à raconter ou à vivre aux alentours de Castelmaure et de Beaurivage.

Au fil des récits, nous partons aussi sur les traces de ce roi qui a fui suite à un mauvais tour joué par la sorcière du royaume. Terriblement affecté par l’impossibilité d’assurer à son trône une descendance, celui-ci demande à la vieille femme de trouver la formule et l’incantation qui changeront le cours de son règne… Le lendemain – ô joie – la Reine apaisée apprend qu’elle est enceinte d’un hériter pour le trône… Seul détail, et pas des moindres: toutes les femmes du village se retrouvent également engrossées par le Souverain… Cette magie noire provoque une crise de taille dans le royaume qui se retrouve en péril… Curieux destin pour la maudite Castelmaure.

Voilà une lecture dont je ressors particulièrement étonnée. Si je n’avais jamais lu de Trondheim, j’avoue que cette première fois en appelle d’autres… Ce conte médiéval rondement mené s’empare des codes traditionnels du genre et en reprend les poncifs. Il s’amuse ensuite allégrement à les détourner en faisant de cette histoire une fable drôle et exquise qui se moque autant de ses personnages que de la grandiloquence épique des récits médiévaux aux multiples enjeux chevaleresques. Les rois perdent de leur noblesse, leurs sujets sont aussi monstrueux qu’attachants, la sorcière est certes puissante, mais aussi esclave de ses propres peurs… Un freak show médiéval qui dépote et qui amusera ceux qui ne se prennent pas toujours au sérieux.

C’est avec un plaisir évident que j’ai retrouvé Alfred dont le trait souligne une sacrée connivence graphique avec Trondheim puis qu’il s’accorde à merveille avec le rythme et le ton suggéré par ce dernier. Habituée à lire -et à adorer – ses récits plus intimistes, j’ai trouvé que la légèreté lui allait tout aussi bien et que son dessin s’emparait incontestablement de ce sens du décalage humoristique et de ce goût pour la dérision. Dans ce conte détourné les personnages ont de sacrées gueules et leur expressivité souligne à chaque fois leur folle personnalité. Un album haut en couleur à savourer pour un instant lecture placé sous le signe sacré de la drôlerie.

Alfred au milieu des livres : Je mourrai pas gibier / Pourquoi j’ai tué Pierre Come Prima / Senso

Castelmaure
Scénario de Lewis Trondheim, dessins d‘Alfred
Couleurs d’Alfred & Lou
Éditions Delcourt, dans la collection Shampooing
18,95€ / 152 pages / 2020
BD de la semaine – 9e Art

 

Chez Stephie

 

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