Tout l’automne à la fin n’est plus qu’une tisane froide.
Dans ce recueil en prose, la poésie sort joyeusement de ses carcans et s’imprègne du monde. Parfois, Ponge bouscule, d’autres fois, il indiffère ou laisse – convenons-en – s’installer un certain hermétisme. Qu’il dise la pluie d’automne ou le quotidien, tout passe par l’objet, le matériel. Et au cœur de cette approche très prosaïque du monde, la poésie fait son œuvre, distille le pouvoir de l’image et de la métaphore. Un autre monde naît de ces choses auxquelles il prête une nouvelle vie par la magie de l’écriture.
Les rois ne touchent pas aux portes. Ils ne connaissent pas ce bonheur : pousser devant soi avec douceur ou rudesse l’un de ces grands panneaux familiers, se retourner vers lui pour le remettre en place, — tenir dans ses bras une porte. Le bonheur d’empoigner au ventre par son nœud de porcelaine l’un de ces hauts obstacles d’une pièce; ce corps à corps rapide par lequel un instant la marche retenue, l’œil s’ouvre et le corps tout entier s’accommode à son nouvel appartement. D’une main amicale il la retient encore, avant de la repousser décidément et s’enclore, — ce dont le déclic du ressort puissant mais bien huilé agréablement l’assure.
Francis Ponge est un joueur provocateur. Au diable la grandiloquence de alexandrin, oublions les éloges conventionnels des beautés de la nature, désertons les chemins traditionnels des poètes… La langue devient ici source d’amusement sans pour autant être dénuée de sensibilité ou de beauté. La poésie sacralisée prend une autre route et devient celle qui sait aussi dire le monde à travers ses objets, ses reliefs et ce qu’il a de palpable. C’est un gage d’humour, mais aussi un incroyable exercice de style qui ne (me) laisse pas insensible.
Elle m’échappe. Et cependant me marque sans que j’y puisse grand chose.
Sous la plume de Ponge, on s’attendrit étonnamment de la vie éphémère d’un cageot sympathique, on s’offre un voyage en observant les reliefs d’un morceau de pain, on s’émerveille d’une huître qui devient voûte céleste, on rit de son pantin-gymnaste, on se laisse hypnotiser par la danse insaisissable de la flamme d’une bougie. Et quand le poète pose son regard sur les Hommes, il se montre bien moins tendre qu’avec les objets qu’il sublime, réservant ses sarcasmes et son ironie grinçante au commun des mortels. Ainsi, l’émotion qui émane habituellement de la lecture de poèmes est autre ici. De l’ordre de celle qui donne l’impression d’avoir affaire à d’heureuses trouvailles surgissant de descriptions minutieuses ou à une transformation du monde absolument ingénieuse et particulièrement bien sentie.
La fortune des poésies ressemble beaucoup à celle de ces horoscopes dérisoires qu’une sorte de messager magnifique pose sur les tables des consommateurs aux terrasses des cafés.
Une chronique poétique qui vient enrichir la semaine poétique « Les classiques c’est fantastique » que j’organise chaque mois avec Fanny. Elle nous parlait justement hier de Sylvia Plath.
Le parti pris de choses – Proêmes de Francis Ponge Éditions Gallimard, dans la collection Poésie Gallimard 7,50€ / 224 pages / 1967 (pour la présente édition) Les classiques c’est fantastique – Instants poétiques |
Souvenir de terminale et de préparation du bac… l’huître et le pain… ah lala !
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J’entretiens la nostalgie ou les traumatismes avec ce billet… ^^
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Haha exactement !
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Ce billet est superbe, tu as les mots pour parler de la poésie, Madame Moka !
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Merci Madame Fanny! ❤ Ce ne sont pourtant pas ceux qui me paraissent les plus faciles à écrire. (Et tu sais de quoi je parle…^^)
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Je sais 😁 Mais tu arrives à cerner ce qu’il faut et à nous les transmettre.
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J’adore. Moi qui ne suis pas branchée poésie, je suis fan de Ponge que je lis, relis et fais apprendre aux élèves… Tu as raison d’en parler ici!
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Lu il y a bien longtemps lors de mes études littéraires…
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Je ne connaissais pas. Tu donnes envie d’aller picorer dans ce recueil ! Cela change de la poésie « académique ».
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J’adore ce recueil de poèmes et le cageot !!!
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Tu en parles bien ! J’aime bien Ponge, notamment le lire à voix haute à la médiathèque 🙂
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Merci Alice ! Ses écrits s’y prêtent à merveille effectivement !
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