Et mon coeur fait boum·L'Art du Roman·Lire l'ailleurs.·Que jeunesse se fasse...

Et c’est comme ça qu’on a décidé de tuer mon oncle – Rohan O’Grady

C’est le début des vacances pour Barnaby et Christie qui accostent sur l’île de Benares, théâtre d’une bien curieuse parenthèse estivale. Le premier – orphelin richissime – passera ce séjour en compagnie des adorables Brooks tandis que Christie sera hébergée chez celle que l’on surnomme la Dame aux chèvres. La vie de l’île – calme à souhait – a de fortes chances d’être sacrément bouleversée avec l’arrivée de ces deux trouble-fête. Depuis la guerre,  ses rares habitants vivent figés dans leurs douleurs et leur mélancolie en compagnie de leurs fantômes qui, eux, restent fidèles à cette terre meurtrie. Seul le Sergent Coulter veille à ce que règnent le calme et l’ordre sans déployer pour cela des efforts surhumains… La rencontre promet d’être explosive.

Le silence était à couper le souffle, même les oiseaux ne chantaient plus, et une certaine obscurité régnait, le soleil ne parvenait à s’inviter que de façon éphémère à travers les branchages. On avait défendu aux enfants de s’approcher de deux endroits: une plage soi-disant dangereuse et la forêt.

Sur cet échiquier insulaire, une étrange partie va se jouer. Rien ne se déroulera comme l’on pourrait l’attendre de vacances dépaysantes sur une île qui a tout d’un petit paradis végétal. Un danger plane, et pas des moindres puisque Sylvester Murchinson-Gaunt, l’oncle – et tuteur – de Barnaby semble avoir de bien funestes projets pour son neveu. Le calcul est simple: si l’enfant disparaît, il héritera de sa fortune. Il n’en faut pas moins à sa cupidité pour faire naître en lui les pires desseins. Et il a, pour mener à bien son plan machiavélique, ce qu’il faut d’hypocrisie, de temps et de recoins perdus sur cette île qui a tout d’un piège qui n’attend plus que de se refermer sur Barnaby.

On va simplement devoir le tuer en premier.

À la lecture des premiers chapitres, les héros de ce roman ont tout d’enfants terribles. Exécrables, perfides et peu enclins à se soumettre aux règles imposées par les adultes, toutes les conditions sont réunies pour qu’ils concentrent les envies de meurtres de cette histoire sur leur petite personne. Néanmoins, leur complicité évidente et grandissante finira par nous faire changer notre fusil d’épaule, qui plus est quand leurs jeux d’enfants turbulents seront supplantés par la nécessité impérieuse d’échapper à la mort qui rôde.

Des petits riens. Des petits riens qui lui avaient évité de sombrer dans la folie.

Voilà un roman profondément irrévérencieux qui vient se jouer de la morale en donnant tour à tour la casquette de victime ou de bourreau aux héros et qui se construit autour d’une véritable conspiration familiale qui ne manque pas de panache. Chez Rohan O’Grady, la plume alerte se veut cinglante et n’épargne ni les personnages, ni les lecteurs. Dans un style qui rappelle les récits anglais pleins d’humour et de facéties, elle se permet d’aller plus loin en insufflant à cette histoire ce qu’il faut de noirceur pour ne pas se contenter d’aventures légères et insouciantes.

Notre regard change à mesure que le ton devient plus grave et se pare d’ironie grinçante. L’on se surprend alors à osciller entre le rire franc, délicieusement spontané et le rire plus nerveux, voire crispé face à la tournure que prennent les aventures de ces deux gamins sous le joug d’un personnage monstrueux, incroyablement cruel et maléfique. Une histoire immorale absolument addictive entre la robinsonnade et le roman noir.

Ils n’avaient que l’embarras du choix quant à la façon de commettre un assassinat. Un meurtre par balle serait, ils le savaient, la méthode la plus simple, mais ils n’avaient aucune préférence. Si ça avait été faisable, cela n’aurait rien changé pour eux d’utiliser une corde, une arme blanche ou du poison pour trucider Oncle Sylvester, du moment qu’Oncle Sylvester était trucidé.

Et c’est comme ça qu’on a décidé de tuer mon oncle de Rohan O’Grady (Let’s kill Uncle)
Traduit de l’anglais (Canada) par Morgane Saysana
Couverture illustrée par Edward Gorey
Les génialissimes éditions Monsieur Toussaint Louverture
dans l’ingénieuse collection Monsieur Toussaint Laventure
17,50€ / 304 pages / 1963
(2019 pour la présente édition)

16 réflexions au sujet de « Et c’est comme ça qu’on a décidé de tuer mon oncle – Rohan O’Grady »

  1. Anecdote : je l’avais acheté pour l’offrir à mon neveu adoré de 11 ans (il en a maintenant 13…) mais au dernier moment j’ai changé d’avis (je le pensais trop noir pour mon petit Sam) et je l’ai gardé pour moi (la mauvaise tante que je fais! Je te rassure, il a eu un cadeau).
    Depuis le roman traine encore dans ma PAL…. 😀
    #fannyracontesavie

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  2. Comme je le disais à Fanny (qui m’a indiquée que tu l’avais également chroniqué), c’est un roman que j’ai très envie de lire (le fait qu’il soit publié chez Monsieur Toussaint Louverture fait déjà la moitié du travail) et ta chronique après celle de Fanny vient en remettre une couche !

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