Je suis le Maître. Je n’ai plus de nom. J’y ai renoncé comme à toute chose dans la vie.
Lorsque Berlioz glisse malencontreusement et se retrouve décapité après le passage d’un tramway, l’émoi de son ami est au rendez-vous. Mais cet affliction tourne vite à la folie quand il mesure que cette mort lui fut prédite quelques minutes auparavant par un curieux personnage s’étant allégrement invité dans leur conversation. Comment comprendre l’entrée en scène, au chapitre suivant, de Ponce Pilate, procurateur de Judée, qui s’apprête à rendre son jugement pour décider du sort d’un inconnu bavard et adulé des foules qui commence à éveiller les soupçons des autorités? Quel curieux hasard fait surgir un homme accompagné d’un chat qui parle et qui erre dans les rues moscovites?
Il y a, si vous le permettez, quelque chose de malsain chez un homme qui fuit le vin, le jeu, la compagnie des femmes charmantes et les conversations d’après-dîner.
Dès les premiers chapitres, nous comprenons bien vite que résumer le roman de Mikhaïl Boulgakov sera peine perdue. Le Maître et Marguerite est un roman pot-pourri qui diffuse ses effluves d’étrangeté page après page. La première partie du roman fait état d’un nombre incommensurable d’événements sans queue ni tête qui rend folle toute personne qui se voit confrontée à eux. La seconde s’offre ensuite une envolée fantastique qui s’inspire et revisite avec un talent indéniable le si célèbre Faust de Goethe.
À quoi bon se précipiter sur les traces de ce qui n’est déjà plus ?
Les âmes damnées rejoignent ici une troupe folle et facétieuse qui se moque de tous sans le moindre scrupule et dans une diabolique frénésie. Les rues de Moscou deviennent alors un théâtre ou l’on se joue de vous, où l’on vous observe tapi dans l’ombre, où l’on décide de votre sort en un claquement de doigts ou dans un rire sorcier à vous rendre éternellement effrayé par les soirs de pleine lune. Tout écho avec la société répressive russe n’a évidemment rien d’anodin sous la plume acerbe et ironique de Boulgakov.
Il va arriver quelque chose, c’est certain, parce que rien, jamais, ne dure éternellement.
Dans ce roman fantasque, le diable est aux commandes et tire les ficelles du récit tout comme il manie avec brio les destins des personnages-marionnettes qui – entre ses mains et ses viles actions – sont livrées à son bon vouloir et celui de ses complices. Face à eux, un écrivain aux illusions perdues et une femme qui l’aime passionnément, prête à entrer dans une valse grisante avec le Malin pour ne jamais perdre celui qu’elle aime par-dessus tout. Une histoire dense, haletante et ô combien étourdissante, aux lignes gorgées de magie noire.
Aucune force au monde ne peut obliger une foule à se taire tant qu’elle n’a pas exhalé tout ce qui s’est accumulé en elle et qu’elle ne se tait pas d’elle-même
Je ne relis presque jamais mes livres. Seuls quelques recueils poétiques, Antigone et Médée dérogent à la règle. La première fois que j’ai eu ce roman entre les mains, j’étais étudiante et découvrais la littérature comparée (avec plus ou moins d’enthousiasme.) Ce texte fut une rencontre littéraire grandiose comme j’espérais en faire dans mon cursus universitaire. Voilà pourquoi j’avais terriblement envie de replonger dans les pages de ce roman russe inclassable, qui fait à mon sens partie des classiques absolument incontournables. Une deuxième lecture pour le rendez-vous Les classiques c’est fantastique que j’organise avec Fanny dans la catégorie « Le bon gros pavé russe »
Un livre également chroniqué par Alice en début de semaine dans le cadre de ce rendez-vous (Blog ça sent le book !)

Le Maître et Marguerite de Mikhaïl Boulgakov Traduit du russe par Claude Ligny Éditions Pocket 8,50 € / 581 pages /2003 (Pour la présente édition) Le bon gros pavé russe – Les classiques c’est fantastique ! |
Je garde de cette expérience de lecture un souvenir à la fois ébloui et drolatique ! Et comme toi, Antigone est un des rares titres que je relis de temps en temps..
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Ton message résume à merveille les effets de ce livre sur son lectorat. Une histoire qui réussit le pari d’allier le sombre au flamboyant. (Et pour Antigone, on se comprend…)
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Une belle chronique, Moka 🙂 Je pensais avoir ce roman mais je ne l’ai pas retrouvé, sûrement encore dans un carton… De mon côté j’ai lu Le joueur de Fiodor Dostoïevski
https://pativore.wordpress.com/2020/07/30/le-joueur-de-fiodor-dostoievski/
Bonne continuation, bon weekend et bon mois d’août 🙂
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Ce russe-là, je ne l’ai jamais lu et à lire ta belle chronique, je le regrette. La littérature comparée, quant à moi, m’a permis de découvrir des auteurs africains et surtout André Brink…
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J’ai commencé à lire ton billet en me disant que tu allais me donner envie de me précipiter en librairie, et en fin de compte je suis dubitative. Ton enthousiasme me rend curieuse, mais le résumé ne m’intéresse pas beaucoup. J’imagine que c’est comme des tas de romans que j’ai lus : il faut le lire pour comprendre. Alors je lirai 🙂
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Disons que le vrai problème avec ce livre c’est qu’il est constitué de plusieurs récits qui s’entrecroisent et cette narration si particulière rend le livre objectivement assez peu « intéressant » à résumer. Il faut passer l’épreuve de la lecture pour saisir ces liens qui se tissent entre les récits et apprécier aussi, cette histoire fantastique… Rien ne presse en tout cas, mais il me semble qu’il fait partie des titres russes que j’estime incontournables.
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J’y suis entrée sans trop savoir à quoi m’attendre dans ce roman et alors quelle réjouissante expérience de lecture ! Je relis très peu mais celui-ci, dans quelques années, devrait y avoir droit. Et je note une fois de plus que je devrais lire Médée 😉 remarque il me semble qu’il y aura de l’antique dans l’air prochainement alors qui sais ? 😉
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Comme je l’ai écrit chez Alice , ce livre m’était totalement inconnu avant qu’elle n’en parle. Vous êtes si enthousiastes que je ne peux le manquer.
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J’ai tellement aimé ce roman… jubilatoire!
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C’est exactement le mot !
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J’ai bien envie de le relire aussi. Je me souviens surtout que j’avais adoré.
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C’est pourtant chose rare que je relise un texte (en dehors des romans sur lesquels je travaillais à la fac.)
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C’est l’un de mes livres préférés… Les éditions inculte sortent une nouvelle traduction en septembre il me semble, c’est peut-être l’occasion de le relire.
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J’ai vu ça oui . Je pense que je la lirai en profitant d’avoir bien en tête l’ancienne version. (Et je savais que tu l’aimais particulièrement. J’ai eu une pensée pour toi en le lisant.)
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