Et mon coeur fait boum·L'Art du Roman·Lire l'ailleurs.

Watership Down – Richard Adams

Ce qui me frappe, c’est qu’ils ont tous l’air triste comme des arbres en novembre.

C’est d’abord un présage qui n’augure rien de bon, une vision glaçante dont les contours peinent à être clairement définis. C’est ensuite un sentiment oppressant qui s’empare du jeune Feever, trop frêle et discret pour que ses pairs daignent accorder le moindre crédit à cette Cassandre des terriers. Hazel, son frère qui le connait mieux que quiconque sent pourtant que ces mots sombres n’ont rien d’anodin et que le danger funeste qui plane exige d’eux qu’ils goûtent à l’exil. Quitter leur garenne, prendre la route à travers champs, s’enfuir pour d’autres terres où la vie sera plus douce. Quelques comparses décident alors de les suivre dans ce périple à venir, sans même avoir la certitude qu’un ailleurs meilleur soit possible.

Ils ne percevaient la présence d’aucun ennemi ni d’aucun danger mais ils ressentaient le doute et l’appréhension de ceux qui arrivent par hasard en des lieux fascinants où leur existence semble dérisoire. […] Rien ne rend plus humble que d’arriver dans un endroit merveilleux et inconnu.

Commence alors un voyage digne des interminables errances d’Ulysse. Collines et plaines verdoyantes ont supplanté la mer agitée et les vagues: l’odyssée de ces héros poilus sera rurale et champêtre. Ces derniers ne seront pas épargnés par les monstres d’autant plus terribles qu’ils auront le museau de leurs semblables. Le monde animal sait lui aussi, être tyrannique et impitoyable. Il hiérarchise les vies, classe et marque ses ouailles, fait usage de la force et ne recule pas devant les sacrifices s’ils assurent la survie de l’espèce. Face à la cruauté, une autre voix résonne, portée par Hazel qui prend du galon dans le regard des siens. Courageux et intrépide, il n’aspire qu’au bonheur du vivre ensemble dans une harmonie que seule la colline de Watership Down semble pouvoir offrir. Pour le porter, la voix de l’un des leurs qui remplace les chants de courage et de gloire des aèdes… Elle rappelle combien les histoires et les contes viennent par leur puissance, élever et apaiser les esprits.

Les hommes n’ont pas conscience que le jour n’est pas ce qui chasse pas la nuit.

Pour mener à bien sa quête salutaire, Hazel saura s’entourer et convaincre, affirmant chaque jour sa bravoure digne des grands héros qui forcent l’admiration et le respect et revendiquant avec ferveur son amour de la liberté. Mais l’ennemi veille, prêt à se ruer sur lui comme une bête enragée et assoiffée de sang, grisée par le pouvoir et le besoin de domination impossible à rassasier. Le souffle épique envahit alors les pages et déverse son tourbillon de hargne et de valeureux combats.

Les lapins, dit-on, ressemblent aux humains par bien des aspects. Ils savent surmonter les catastrophes et se laisser porter par le temps, renoncer à ce qu’ils ont perdu et oublier les peurs d’hier.

Éprouver, adulte, le plaisir inestimable et précieux de l’enfant qui se laisse conter une histoire. Le pouvoir des fables, des récits anthropomorphes, des épopées grandioses prend ici tout son sens. Découvrir Watership Down, c’est vivre soudain sous terre le temps d’un roman et le lire – « entre » sauts et gambades.  C’est aussi trembler, s’essouffler au rythme d’une nature plurielle, gratter le sol friable à mesure que l’on tourne les pages, se faire à cette autre langue qui nous donnerait presque l’impression d’y être initiés et laisser s’écrire sous nos yeux la légende. Immense et atemporel Watership Down.

Si jamais nous nous revoyons, dit Dandelion en prenant place dans l’herbe sur le bord du chemin, nous serons les héros de la plus belle histoire jamais entendue.

Livre culte en Angleterre, il n’y avait que l’impertinent et absolument génial Monsieur Toussaint Louverture pour remettre ce classique de la littérature anglaise au goût du jour et sous le feu des projecteurs. Et quelle plus belle déclaration d’amour que de lui offrir trois écrins d’exception (dont le tout dernier verra le jour dans sa collection de poche Les Grands Animaux.)

Beaucoup d’hommes disent aimer l’hiver, ce qu’ils aiment, en vérité, c’est se sentir à l’abri de ses rigueurs lorsqu’ils n’éprouvent aucune difficulté à se nourrir et qu’ils disposent de feu ou de vêtements chauds. Comme cette saison ne peut rien contre eux, ils se sentent d’autant plus malins, d’autant mieux protégés. Il en va autrement pour les bêtes et les pauvres.

Les classiques c’est fantastique !

Pour cette semaine consacrée aux classiques américains ou anglais, j’ai joué la carte du choix impossible et vous proposerai jour après jour donc des titres venus d’outre-Manche et d’outre-Atlantique.

Elles ont toutes leur passeport en main pour l’Angleterre ou les USA,
quel titre ont-elles choisi de partager?

Fanny / Natiora  /Paolina / Alice / Céline

Le mois prochain, nos choix de classiques nous conduiront sur les planches et nous passerons la fin du mois au théâtre… Si vous nous rejoignez, gardez votre titre secret d’ici là, nous les découvrirons la dernière semaine de juin (lundi 29) lors de la publication de nos billets respectifs le dernier lundi du mois. Je recenserai vos liens dans le billet de juin.

BO des pages tournées : Time to go – French for Rabbits

Watership Down de Richard Adams
Traduit de l’anglais par Pierre Clinquart
(Fabuleuses) Éditions Monsieur Toussaint Louverture
21,90 € / 544 pages / 2016
(Édition originale 1972)
Littérature étrangèreLes classiques c’est fantastique !

 

39 réflexions au sujet de « Watership Down – Richard Adams »

  1. Jamais entendu parler ! Et pourtant en cherchant un peu sur le net je me rends compte que c’est comme tu le dis un grand classique de la littérature anglaise, un best-seller. Au début de ton billet je n’étais pas emballée, je ne suis pas fan de l’anthropomorphisme. Mais au fur et à mesure j’étais intriguée par ce conte pour adultes. Ça me fait penser à La ferme des animaux de Georges Orwell.
    Merci pour la découverte !

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    1. J’avoue que toutes les histoires anthropomorphiques ont tendance à m’ennuyer. J’ai souvent refusé ce genre de lectures, jusqu’à ce que je lise Abélard de Dillies et Hautière. Puis tout Dillies. Désormais je me lance, et j’avoue avoir été souvent très agréablement surprise alors que je pars généralement dans l’idée que ça ne me plaira pas.
      Et l’écho avec Orwell est là. Difficile de pas y songer.
      À demain pour notre virée aux USA chère Natiora.

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    1. J’en repoussais toujours un peu la lecture mais je l’ai dévoré ! Et je ne pensais pas être à ce point conquise ! La dimension philosophique de ces pages est puissante (tout en se voulant très accessible). Bonne lecture !

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  2. Ça fait un moment qu’il me tente (mais le petit côté pavé…) après avoir vu l’adaptation sur Netflix, je suis convaincue qu’il faut que je le lise ! Je vais sans doute me laisser tenter par la réédition qui sort en juin chez Toussaint Louverture…

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    1. Oh oui, nous partageons désormais ce livre dans nos petits coeurs de grands lecteurs.
      J’ai vu les trois premiers, pas encore achevé la série mais l’envie n’y est pas. Je préfère mille fois voir gambader les poilus dans mon esprit en laissant faire mon imaginaire en mal d’échappées verdoyantes et sauvages.

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