Et mon coeur fait boum·L'Art du Roman

Vanda – Marion Brunet

Vanda ne comprend pas la fragilité des porcelaines, les préambules et les précautions. Alors un enfant, pour une femme brutale et solitaire, un enfant avec ses yeux d’oiseau sans plumes, sa peau translucide et sa dépendance absolue, elle n’était pas sûre de savoir s’y prendre.

Il existe entre Noé et Vanda un lien indéfectible. Amour filial et fusionnel, entretenu et conditionné par cette putain de vie qui écorche et malmène quotidiennement dans une violence désespérément ordinaire. La pire à éradiquer tant elle vous colle à la peau. Un petit cabanon en bord de mer – petit frisson de paradis des vacanciers – n’a pas la même superbe quand cet espace exigu devient le seul toit pour la survie de Vanda. La suite, sans surprise, n’est faite que de précarité, de vaines attentes, de sursis illusoires. Sur le littoral sud, on ne vit pas que les beaux jours et les pieds dans le sable emportent avec eux de petits grains pour les semer dans les rouages fragiles du monde comme il va.

De ce duo pourtant, nait une force incommensurable. De celle qui rendrait presque les invisibles invincibles. De celle qui rassure même quand rien ne va et quand tout fout le camp. Chacun d’eux puise dans cette source intarissable, la folie douce des jours qui passent. Et cette vie, sans trop regarder dans les coulisses, semblerait presque supportable si elle n’était pas si silencieusement dramatique. Mais dans ce roman-là, tant de tragédies se jouent.

Il voudrait simplement qu’elle sache qu’il a réussi, qu’il est heureux sans elle, la revanche absurde de ceux qui ont été quittés.

Puis vient le jour où Simon revient à Marseille pour enterrer sa mère. Et ce retour tant de fois redouté vient bouleverser l’équilibre de funambule de Vanda. Lui qui ignore être le père de Noé ne sera pas en reste en terme de surprises. Face au danger qu’il incarne dans l’esprit de Vanda, une peur panique teintée d’amertume l’assaille. Aussitôt, la femme sort ses griffes acérées et la mère devient louve.

Et les amours terribles, de celles qui donnent du sens aux pulsations, pour qui on pense pouvoir mourir ou qui nous ont tués en partant. C’est des conneries, on n’en meurt pas.

Conteuse du désenchantement et de la vie par-dessous tout Marion Brunet signe un roman qui dit sans fard ce(ux) que tait notre société. Nul besoin de trop gratter le vernis puisque tout s’effrite déjà. Derrière Vanda, avec Vanda, c’est un monde en ébullition, des coeurs et des voix dans le désordre d’une révolte intérieure et sociétale gonflée de lassitude et de rage. Digne dans ses plus grandes faiblesses, forte face aux regards réprobateurs qui font de la morale une valeur qui autorise tous les jugements, furieuse quand les bonnes petites gens lui rappellent sans un mot qu’elle n’est et ne sera jamais des leurs. Vanda, héroïne de la marge. Reine aux pieds nus d’un petit monde qui n’en finit jamais de se chercher et de trouver sa place.

On peut mourir au soleil comme partout, on peut souffrir sous le bleu, mais les gens auront toujours du mal à y croire. Ils penseront aux plages estivales sans entendre le chant des morts, celui de milliers d’immigrés arrivés par vagues de toute la Méditerranée, depuis les apôtres en goguette jusqu’à l’Aquarius.

Marion Brunet, donne ainsi à ses personnages – sans héroïsation grandiose – une place qu’on leur refuse constamment. Elle leur fraie un chemin dans le paysage littéraire et dit entre les lignes et au fil des pages combien ils existent dans un monde qui détourne le regard sur ce qui pourtant crève les yeux. Profondément ancrée dans l’actualité, la voix de Marion Brunet porte en elle un regard sur le monde qui me rappelle celui d’un certain Nicolas Mathieu.

Incisive et d’une justesse incomparable dans sa manière de dépeindre ses personnages et de les ancrer au monde, sa plume sait être tendre quand il est question de dire la mère qui noie ses tourments au creux du cou de son fils, mais peut aussi se révéler fougueuse et furieusement  politique, quant elle vient réveiller en nous les appétits féroces de révolte, et nourrir ce besoin irrépressible de clamer une puissante colère que d’autres cherchent, si souvent, à étouffer.

Marion Brunet au milieu des livres : Frangine / Dans la gueule du loup / Sans foi ni loi

BO des pages tournéesJe t’ai manqué – Alain Bashung

Vanda – Marion Brunet

Éditions Albin Michel

240 pages 18€

ISBN: 9782226449573

Février 2020

 

13 réflexions au sujet de « Vanda – Marion Brunet »

Laisser un commentaire