BD de la semaine·Neuvième art

Soon – Thomas Cadène & Benjamin Adam

Tout ce que nous avons perdu de vivant, tout ce que nous avons gâché de vital, rien ne reviendra.

Zones irradiées, trous qui engloutissent le cœur des villes, pandémies, infertilité. La géographie mondiale en 2151 ne ressemble plus à celle de nos livres d’écoliers et l’univers a désormais un autre visage. Sept villes subsistent, appliquant à la lettre près des règlements établis par un contrat qui les lie entre elles. Ajoutez à cela des zones exclusivement destinées à la nature où toute présence humaine est formellement proscrite.

La deuxième fois doit être encore plus folle que la première… Sinon, les gens se lassent.

Soon est le nom d’une mission spatiale de la plus haute importance puisqu’il s’agit d’explorer l’espace afin d’y trouver une planète où perpétuer l’espèce humaine en voie d’extinction. À sa tête, Simone, femme tantôt adulée tantôt critiquée avec virulence. Sa prochaine mission, Soon2 n’a rien d’anodin puisqu’il lui faudra trente ans pour arriver à destination. Son départ sonne inévitablement comme un aller sans retour et elle souhaite profiter du temps qu’il lui reste sur terre pour partager quelques moments avec Youri – son fils – à qui elle propose un « tour du monde » en guise d’adieu. Leur complicité, ébranlée par des années d’implication pour la recherche spatiale peine à trouver du sens, à s’exprimer… Des liens ainsi étiolés ne se créent pas en si peu de temps, quel qu’en soit l’enjeu. Et pourtant, le départ approche à mesure que ce duo mère-fils s’éloigne.

L’inconnu c’est primordial, c’est le moteur de notre soif de savoir. Refuser l’inconnu, c’est renoncer à la connaissance.

Derrière cette histoire familiale, un autre récit se joue. Celui d’une humanité en perdition qui tente par tous les moyens de survivre et d’envisager un mode de vie qui puisse tirer intelligemment les leçons de plusieurs siècles d’excès et d’inconscience. La génération dépeinte est celle qui subit de plein fouet les dérives de la nôtre et le portrait que l’on dresse du monde tel qu’il est devenu ne peut laisser de marbre. Soon alterne ainsi le récit d’une séparation dans des pages marquées par une dominante colorée qui ponctue ainsi les temps forts de la narration. Enfin, des pages plus didactiques – mais savamment orchestrées – viennent rompre avec le récit initial pour relater à la manière d’un musée virtuel, l’évolution de notre monde depuis sa création. Et inévitablement, le propos laisse peu de place à l’optimisme.

C’est un récit d’une densité folle que signe ici Thomas Cadène, à l’instar du dessin fourmillant de Benjamin Adam. L’uchronie qu’ils conçoivent est d’autant plus effrayante qu’elle nous paraît absolument crédible malgré tout le folklore narratif et graphique mis en œuvre pour ce récit de science-fiction. Désespérément plausible, la situation dépeinte interpelle et souligne que l’urgence est là, sous nos yeux conscients du pire mais aveuglés par nos vies démesurées, presque indifférentes aux dommages collatéraux qu’elles sont en mesure d’engendrer. Un argumentaire implicite mêlé à un discours scientifique habilement vulgarisé qui mérite toutefois une lecture attentive, loin d’être fluide mais qui distille son message avec une efficacité redoutable. Un joli tour de force pour un genre que je lis habituellement avec assez peu d’intérêt et d’enthousiasme. Voilà ma curiosité piquée pour cette fable d’une modernité glaçante qui nous projette dans un futur qui pourrait, bientôt, être le nôtre.

Soon – Thomas Cadène & Benjamin Adam

Éditions Dargaud Collection Visions du futur

240 pages / 27 €

ISBN: 9782205078749

Octobre 2019

Sélection de lectures « Rêves et progrès scientifiques »

Chez Stéphie

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Pour prolonger ce genre de lecture côté romans:

Sirius – Stéphane Servant (avec quelques échos graphiques côté couverture.)

Et toujours les forêts – Sandrine Collette

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30 réflexions au sujet de « Soon – Thomas Cadène & Benjamin Adam »

    1. Je ne pense pas qu’il faille être spécialiste pour avoir envie ou non de lire un titre… Et heureusement. Mais disons qu’à force d’en lire, on se montre, je crois un peu plus ouvert sur ce qui sort de nos habitudes de lecture ou de nos goûts en la matière.

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      1. À l’inverse de toi, je retiens surtout l’optimisme. L’optimisme d’un nouveau cycle permanent, l’optimisme de la vie qui reprend ses droits, de l’éternelle recherche de la vie et de perpétuer la vie.
        Bref, même après les désastres le vivant reconstruit et se reconstruit.

        Ta chronique pose bien mieux les choses que la mienne, avec un regard croisé pour lequel j’ai manqué de mots. C’était chouette de te lire. J’ai bien aimé cette BD mais j’avoue avoir un avantage au départ : j’aime les récits d’anticipation ! Mais les bons ne sont pas légion, celui-là est plutôt bien construit 😉

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    1. J’avoue qu’avec un titre comme ça, je pars à l’opposé de ce qui me parle tu penses bien (Tu me connais…) Mais je me mets doucement à la SF pour le boulot et il m’arrive d’être très agréablement surprise!

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