L'Art du Roman

Et toujours les forêts – Sandrine Collette

Leurs fêtes les sauvaient en même temps qu’elles les éloignaient du monde, mais le monde, ils n’en voulaient pas. Ils n’avaient pas imaginé un seul instant que ce serait lui qui ne voudrait plus d’eux.

Cela survient sans que personne n’ait le temps de rien. Un bruit, un tremblement, un bouleversement qui fait sombrer dans le chaos, avec aux premières loges, les Hommes qui subiront le drame sans avoir l’occasion d’en être véritablement les témoins. Certains survivent. Peu. D’autres s’entassent, figés dans leur quotidien comme un triste écho au drame de Pompéï. Le verdict de la nature est sans appel: la survie ne sera sûrement pas un cadeau.

Chaque semaine, à la télévision, il entendait ces mots: réchauffement climatique, deux degrés, trois degrés, danger. Cela ne signifiait rien pour lui. Il faisait chaud, c’était tout.

Corentin fait partie de ces personnes qui échapperont au grand bouleversement. Et quand il verra la terre dévastée, il quittera la ville pour regagner les forêts. Celles de son enfance tourmentée, celles de ses souvenirs intacts. Et là, au cœur d’une forêt où les arbres sont devenus des fantômes, il tentera par tous les moyens de recommencer une vie où tout est à refaire, où rien n’est acquis. Cette reconquête de son monde se fera dans une forme de solitude qu’il tentera de combler en vain.

Ainsi c’était cela donner la vie.
L’épouvantable expérience.

Et toujours les forêts est un roman gris. Un roman sur le monde qui s’éteint avec les espoirs de ceux qui pourraient vivre et survivre par dessus tout. A l’instar de cette vie où la lumière a disparu, la noirceur et la grisaille deviennent quotidiennes, ne laissant que peu de place au salut et à la rédemption. Enfin, c’est aussi un roman qui interroge naturellement ces liens qui se tissent entre ceux qui restent et qui ne laisse que peu de place à l’espoir concernant la nature humaine.

Tout était normal. Ainsi vont les enfants: ils s’en vont.

Sandrine Collette fait partie de ces auteurs qui aiment les drames, qui se délectent des situations les plus sombres. C’est ainsi qu’on m’avait présenté ses romans qui ne laissaient – semble-t-il – pas les lecteurs indifférents. D’autres, agacés par le goût exacerbé de la grandiloquence tragique et de la pauvreté stylistique m’avaient fait repousser la rencontre avec cette plume experte en drames extraordinaires. Et cette fois, rien de tel qu’un récit post-apocalyptique pour laisser place aux scénarii les plus fous.

Or, c’est un roman somme toute assez sobre et redoutablement efficace que nous livre Sandrine Collette. Un roman de l’étouffement dans lequel le vrai drame se noue autour d’un personnage sans cesse confronté au rejet du monde qui n’aura d’autre choix que de se construire dans l’exclusion. Héros maudit, personnage haï viscéralement avant même sa naissance, il portera son destin sur ses frêles épaules et interpellera le lecteur dans sa grande ambiguïté, dualité

Au fil des pages, se construit ainsi une histoire lente et sensible qui malgré l’étiquette de roman post-apocalyptique, vient nous heurter par son très grand potentiel réaliste… Le monde dévasté tel qu’il est décrit n’a rien de si improbable et cette fable des plus convaincantes sonne presque comme une mise en garde cruellement d’actualité contre un futur qui pourrait ne pas être si lointain.

Et toujours les forêtsSandrine Collette

Éditions JC Lattès

334 pages / 20€

Janvier 2020

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◊◊◊ Sirius– Stéphane Servant.

19 réflexions au sujet de « Et toujours les forêts – Sandrine Collette »

    1. J’avais entendu tellement de choses sur son côté « trop percutant » que j’avoue avoir apprécié ce sens de la modération à travers ce texte. Mais c’était une première entre elle et moi… Je la relirai, histoire de voir ce qu’elle offre dans d’autres types de récits.

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