Instants poétiques·L'Art du récit

Minuit en mon silence – Pierre Cendors

C’est demain que je vais mourir. Je le sais. Je le sais d’une certitude effroyablement calme et douce comme l’adolescence porte en elle le deuil d’un premier amour avant même d’aimer.

Il est Allemand et appelé sur le front. Comme tant d’autres, comme tant d’hommes qui verront leur destin sauvagement écourté par l’Histoire. Face à la certitude de tutoyer bientôt la mort, il prend la plume et écrit dans un dernier sursaut de vie et d’envie à une femme française croisée furtivement qui a nourri ses pudiques fantasmes quand la solitude et l’absence devenaient trop envahissantes.

À cette Else follement désirée, il se confie, livre ses états d’âme comme on va à confesse, détournant ses soliloques pour souvent céder à l’art de la digression introspective. L’amour éprouvé se veut ainsi fulgurant, obsessionnel et absolu et l’on croirait parfois retrouver un personnage né sous la plume de Stefan Zweig… Mais c’est à se demander si cette parenthèse amoureuse n’est en fin de compte pas un prétexte pour évoquer à plus juste titre les tourments qui agitent l’âme d’un artiste terrifié à l’idée de mourir en faisant de ces pages épistolaires un manifeste poétique et philosophique bien plus qu’un testament amoureux.

Je sais que ma vie et la vôtre, ici bas, ne s’appartiendront jamais. Il y aura des instants où le dessin d’un visage, un regard qui tient le mien, la brûlure d’une silhouette, me feront douloureusement croire à votre existence. Je ressentirai cruellement votre absence auprès de chaque femme. Quelques unes, à travers elles, me laisseront vous effleurer. Les âges de ma vie se succéderont. Je vous oublierai souvent. Vous me manquerez toujours.

Avec un titre de cet acabit et un travail éditorial signé Le Tripode, difficile de ne pas feuilleter, avec une évidente curiosité, ce petit ouvrage quand vous le croiserez en librairie. Pierre Cendors cède à ces pages une puissance poétique indéniable. Derrière cette intense déclaration d’amour, il insuffle son amour des mots et de la langue dans ce qu’elle a de plus travaillé et subtil, permettant d’entrevoir cette douleur tragique qui perd les héros entre passion et résignation lorsque l’espoir n’a plus lieu d’être.

Qu’on laisse un homme être ce qu’il n’est pas.

On se laisse rapidement entraîner dans cet élan poétique tantôt obscur, tantôt lumineux et l’on pardonnera ces quelques digressions lyriques parfois superflues qui donnent au style de de Cendors une dimension emphatique un peu artificielle. Un écueil qui aurait pu être évité car c’est ici dans leur élégante simplicité que les pages les plus belles marqueront les esprits et que l’on cèdera à la tentation de noter ou de griffonner les jolis instants de littérature qui sommeillent dans ces lignes-là.

Si les mots savent habiller nos sentiments et nos pensées, ils échouent à nous mettre à nu. La nudité de l’être use leur étoffe jusqu’à atteindre une transparence peu dicible.

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Pour prolonger cette lecture :

  • Par-delà nos corps – Bérengère Cornut
  • La Lettre à Helga – Bergsveinn Birgisson
  • Lettre d’une Inconnue – Stefan Zweig

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Minuit en mon silence – Pierre Cendors

Le Tripode

ISBN: 978-2-37055-125-2

80 pages / 13€

Mai 2017

 

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