Et mon coeur fait boum·Je lis des albums·Que jeunesse se fasse...

Les Riches Heures de Jacominus Gainsborough – Rébecca Dautremer

Jacominus était petit, mais il aimait le grand.

Dans le parc, c’est l’automne. Les feuilles recouvrent le sol et les arbres perdent de leur superbe, quelques badauds s’amassent autour d’un landau. Là, niché au creux des doux tissus que l’on devine, un petit être duveteux dort paisiblement. Bien au chaud dans son berceau, il ne sait pas qu’une fois qu’il aura atteint l’âge de marcher, une chute de trois fois rien, une glissade de rêveur rendra l’une de ses petites pattes éternellement fragile.

Jacominus a le nom de ces héros au grand destin (sans en avoir le charisme sentencieux mais en en ayant le charme fou.) Discret, timide, souvent ailleurs, profondément philosophe, secrètement amoureux, furieusement épris de voyages. Il grandit entouré de ceux qu’il aime (certains plus que d’autres) et découvre le monde à travers ses yeux de rêveur un poil lunaire.

Jacominus en apprit un peu plus chaque jour. Il apprit à écouter, à regarder, à sentir, à prendre les devants, à voir plus loin que le bout de son nez, il apprit à réfléchir avant de parler et à parler pour ne rien dire. Il apprit à avoir confiance en lui, à se retenir de pleurer (toujours devant Douce Vidocq) … et à être patient (particulièrement avec Policarpe.) Puis il apprit à prendre des décisions et à se laisser aller, aussi.

Au fil des pages se content de riches heures pleines de mots et d’images, heures légères ou graves, heures en solitaire ou au milieu d’une multitude de visages familiers. On frissonne, souvent. On s’émeut, terriblement. Jacominus, clopin-clopant, emmitouflé dans son doux tricot bleuté, goûte à la saveur grisante de la joie, à l’amertume cinglante des adieux, à l’énergie époustouflante insufflée par ces vies qui se croisent. Et s’il a beau être le héros de l’album, Rébecca Dautremer n’hésite pas à le perdre au milieu de ses illustrations comme autant d’occasion de jouer avec impertinence avec le lecteur.

Il est vrai qu’il y eut un moment où ses nuits eurent plus de fantaisie que ses jours.

Et quand vient l’heure des bilans, quand arrive le moment de faire le point sur ce qui a compté dans nos si petites vies, on sort à notre tour une discrète petite feuille pour compter nos riches heures. On la garde pour nous, on mémorise la liste, on la relit aussi souvent que ces pages qui comptent parmi les plus précieuses qu’il m’ait été donné de lire.

Il y a ceux qui n’ont pas de veine, et d’autres qui ont la poisse. Il y a ceux qui ne comprennent rien à rien, et d’autres qui ne se rendent pas compte. Il y a ceux qui ne voient que le mauvais côté des choses, et certains qui ne veulent rien savoir. Y en a beaucoup qui n’osent rien dire, pas mal qui serrent les dents, un tas qui vont droit dans le mur. « L’important, c’est d’éviter d’être de tous ceux-là » s’encourageait Jacominus quand il avait des ennuis.

Ce livre me bouleverse. Ce fut le cas à la première lecture et à chaque relecture. Inlassablement. Démesurément. Parce qu’il dit de ce ton léger et espiègle, l’amour de vivre, les rencontres incroyables qui vous construisent (ou vous fragilisent), les regrets douloureux qu’on ne digère jamais vraiment, les grandes et petites écorchures. Parce qu’il dit beaucoup de nous et des gens qui comptent dans nos vies. Et parce que le pinceau de Rebecca Dautremer est à ce jour un des plus talentueux que je connaisse. Capable de dire l’infime et l’immense, les horizons lointains et la lumière qui inonde les pages. Les images sont saisissantes quasi hypnotiques, fourmillant de personnages qui mériteraient tous d’être un jour le héros d’une nouvelle histoire tant ils intriguent par leur singulière beauté.

Les mots de cet album trouveront une résonance particulière chez les adultes. Ceux qui aiment follement écrire des listes, ceux qui ont toujours eu du mal avec l’idée de devoir grandir trop vite, ceux qui aiment les gilets tricotés et n’ont rien contre l’idée d’entretenir leur goût pour la nostalgie. Je crois être définitivement un peu de tous ceux-là.

Les Riches Heures de Jacominus Gainsborough – Rébecca Dautremer

Éditions Sarbacane

19,50€ / 56pages

Octobre 2018

ISBN: 9782377310173

Dès 5 ans

18 réflexions au sujet de « Les Riches Heures de Jacominus Gainsborough – Rébecca Dautremer »

  1. La nostalgie me gagne souvent et j’ai gardé mon âme d’enfant et puis Rebecca Dautremer on a vraiment envie de l’avoir en cadeau ou de se l’offrir tout simplement ce bel album.
    Merci de le mettre en avant
    Belle et heureuse année 2020 riches en heures heureuses

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