Le poulet est dans le four, les voitures familiales se garent progressivement devant la maison, la porte s’ouvre comme s’ouvrirait le rideau d’une scène de théâtre. Le rituel dominical est bien rôdé et l’on sent pourtant que ce qui s’apprête à se jouer n’a rien de divertissant pour les acteurs de ce rendez-vous farcesque.
Après la tentation romanesque autour du repas de famille, Fabcaro remet le couvert du côté du 9e Art et l’on se délecte – avec un appétit vorace – de ce sujet qu’il maîtrise incontestablement. Ici, le héros largué de Le Discours cède sa place à une multitude de personnages tous aussi cinglés et obsessionnels les uns que les autres. Les adultes apportent avec eux leurs indécrottables névroses et leur bêtise ordinaire et les enfants ne viennent assurément pas relever le niveau de cette réunion de famille complètement loufoque.
Rhaa non, ça va pas. On est tous de droite.
Fabcaro donne au lecteur ce qu’il attend en tournant les pages – nouvellement colorées – de ses albums. Du rire, absurde. Du cynisme mordant. Des situations poussées à l’extrême, des dialogues-logorrhées qui détournent les expressions et se nourrissent de lieux communs, de poncifs qui mis bout à bout servent toujours très habilement ce décalage qui provoque chez moi un rire délicieusement grinçant.
Tiens, qui peut sonner un dimanche à cette heure-là? – C’étaient des témoins de François Bayrou. – Classique. Tous les dimanches c’est pareil.
L’auteur de Zaï, Zaï, Zaï, Zaï et de l’excellent Et si l’amour c’était d’aimer s’empare ainsi de la tragédie pour mieux en détourner les codes. Là encore, il provoque, se joue de ce genre si noble en brisant ses ressorts. Au diable la bienséance, ici, on crève sur scène dans une indifférence crasse. Au diable la grandiloquence: ici on parle creux et les envolées lyriques n’ont d’autre but que de susciter le rire. Au diable les larmes affligées: si l’on pleure ici, c’est parce que l’on rit. Beaucoup. Le poids du destin n’est rien à côté de celui de ce dimanche à surmonter avec bravoure et abnégation. Une tragédie du quotidien dans toute sa trivialité.
On ne souhaite à personne ce genre de famille et pourtant… Dans ce chaos relationnel savamment orchestré, on retrouve les traits parfois familiers de l’oncle raciste insipide, les propos creux et soporifiques d’une grand-mère radoteuse, le beau-frère grossier qui pêche par orgueil et suffisance, l’enfant loquace qui donne plutôt envie de s’enfiler toute la bouteille de rouge plutôt que de l’écouter une minute de plus, la cousine bavarde qui ne voit pas plus loin que le bout de son nombril. Derrière les cases, un peu de ces obligations du dimanche qu’on voudrait fuir allégrement. Derrière, les cases, un huis clos tragiquement drôle, parce qu’il vient réveiller chez nous ces souvenirs de repas qui nous demandent de contenir avec diplomatie tout ce que la bêtise et l’ennui pourraient nous faire dire, parce qu’il vient combler par un flot de paroles toute la vacuité des échanges qui rythment ces jours-là.
Une lecture cathartique à souhait, à lire avant un repas de cet acabit pour remplacer le détonnant combo lexomil-alcool avant de se rendre sur scène. Exquis.
Je comprends pas. D’habitude, j’assure en nostalgie.
Une lecture que je partage avec ma Noukette adorée pour notre succulent rendez-vous de la BD de la semaine.
Fabcaro au milieu des livres: Zaï, Zaï, Zaï, Zaï / Et si l’amour c’était d’aimer / Le Discours.
Bande orginale: Thérapie de groupe – Olivia Ruiz. / Défaite de famille – Orelsan
Formica – Fabcaro
Collection Monotrème
ISBN: 978-2-35212-151-0
13€ / 64 pages
Septembre 2019
J’espère prendre autant de plaisir qu’à ses précédents ouvrages
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Je crois que c’est un peu l’histoire du quitte ou double ce genre d’album. Chez moi, ça fonctionne à chaque fois !
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Sympa la famille… 🙂
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Celle-ci est follement désespérante.
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Je sors de table repue, j’aurais bien repris une lichette de ce délicieux poulet d’ailleurs…!
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Insatiable Noukette…
Ressers-moi un verre veux-tu. ❤
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J’ai du mal avec Fabacaro… ce qui est étrange. Je crois que ce qu’il fait me donne en fait plus envie de pleurer que de rire. 😉
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Il faut savoir prendre ses écrits avec beaucoup de distance je crois. Et je pense que ce n’est pas toujours facile.
Je suis très bon public en tout cas, mais ça tu l’auras compris.
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Oui oui, je sais qu’il a ses adeptes, et je suis justement mortifiée de ne pas adhérer… 😉
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Après ton billet, je vais le lire, forcément !
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Fabcaro j’adore !! Il me fait vraiment rire.
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Idée cadeau toute trouvée à glisser au pied du sapin en cette future période des repas de famille interminables et des dindes fourrées.
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Je crois bien que je préfère lire vos articles que l album (et même les albums)…
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Mouahahhaha je ris déjà comme une baleine! 😀
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Vous mettre à deux pour convaincre le lecteur qu’il faut aussi se procurer ce dernier opus, bah, je le dis tout net, c’est lâche ! 😉
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Bon, y’a pas à dire, il faut que je me lance dans Fabcaro
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J’ai du mal avec l’humour de Fabcaro…
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J’adoooooore Fabcaro.
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Très tentée même si Fabcaro et moi ça ne fonctionne pas à tous les coups… (j’avais adoré Et si l’amour c’était aimer mais pas emballée par Zaï, Zaï, Zaï, Zaï)
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J’ai craqué hier en libraire, il m’attend, ou plutôt, j’attends d’avoir un moment où je pourrais me poser et me bidonner tranquille 😀 et je plussoie avec The Autistreading, à mettre sous le pied du sapin pour un noël en famille ^^
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Ton article attise ma curiosité. Le thème, le talent d’écriture de l’auteur… Mon seul bémol est le style graphique de Fabcaro dont je ne suis pas un grand fan… Au plaisir de te relire…
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Lecture prévue pour tout bientôt, tu penses bien 😉
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