Dans l’un de ses journaux, Annie Ernaux note: « Je suis traversée par les gens, leur existence, comme une putain. »
Une ville, un bord de mer, une personne croisée, connue, anonyme, oubliée. Un homme et un précieux carnet. Une rupture, un amour naissant, une femme vieillissante qui s’accroche à un passant pour tromper la solitude, un visage étranger troublant qui lui ressemble, un père qui ne le deviendra jamais vraiment mais qui apprend maladroitement à l’être, un homme qui redoute chaque matin le départ de l’amour de sa vie. Tranches de vies vécues ou fantasmées. Et tout le reste n’est que littérature, souvenir ou imagination.
Je passe mon temps à voler des gens. Dans le métro, dans la rue, au café, sur la plage. […] Je tente de les deviner, aucun ne doit me rester étranger, je veux les garder, je finis par les inventer, ce que je nomme voler.
Un livre qui se lit comme on écoute une chanson de Delerm, comme on s’enrobe de l’atmosphère d’un film de Demy, comme on s’aime sur un cliché de Doisneau. La plume de Cathrine épouse les silhouettes à la merci de son regard qui se pose sur tous au gré d’un faux hasard, en se moquant des âges. Parler d’elles, c’est replonger dans un souvenir, c’est se projeter là où futur ne s’encombre pas toujours de la vérité. Dans ces pages, la fiction et la réalité s’invitent dans les spéculations sur ces vies intimes et minuscules et tout sonne incroyablement juste.
Elle se demande qui peut bien être l’indétrônable en elle qui la sépare des hommes, qui fait écran, le coupable, quel fantôme. C’est la seule question. Il y a quelqu’un. Mais qui?
Certainement, Arnaud Cathrine vole, dérobe, emprunte, s’accapare ces vies-là. Mais il partage son larcin avec une simplicité criante de sensibilité et de cette mélancolie douce qui nous accompagne dans chacune des pages . En disant les autres, il se raconte aussi et glisse dans chaque page ce qu’il veut bien laisser de lui avec une maîtrise de la chute qui sait souvent faire mouche.
Je ne lui demande pas s’il me lit, je ne lui dis pas qu’il apparaît quasiment dans chacun de mes livres, réinventé mais bel et bien distribué, parfois dans le premier rôle. Je ne lui dis pas qu’il fait intrusion dans mes rêves une fois par mois au grand minimum. Je ne lui dis pas que je ne sais pas quoi faire de son fantôme. Je ne lui dis rien et je pense qu’il sait tout.
Nous pourrions être en droit de nous sentir frustrés, de trouver ces tranches de vie trop succinctes pour nous donner suffisamment de temps pour les aimer. Il n’en est rien. Indéniablement, chacun saura apprécier cette fugacité-là, saisissante, cette beauté palpable de la brièveté. Inutile parfois, de vouloir en faire des romans.
Il est même probable que le sentiment de l’été, ajouté au dimanche, laisse cet homme plus seul que jamais.
Un livre qui donne vie aux discrets, qui lègue ses mots aux silences, qui réveille l’ordinaire qui parfois nous échappe.
J’entends des regards que vous croyez muets – Arnaud Cathrine
Éditions Verticales
7 mars 2019
ISBN:978-0-07-282237-7
180 pages / 18€
Pour vos oreilles: A une passante – Léo Ferré (Et Charles, of course.)
Quelle chronique ! ❤
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Je me répète, je trouve ce titre tellement beau, il m’attire.
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J’ai beaucoup aimé aussi…
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Il m’attend dans ma Pal !
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Nous passons si souvent à côté de petits riens. Cette lecture nous rappelle leurs importances, on dirait.
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Chouette ! Il m’attend sur ma table de chevet. Je vais certainement attendre mes vacances pour le déguster.
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Tu sais à quel point j’adore ce genre d’écriture « minuscule » 😉
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Ahah. Oui, follement.
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J’ai failli l’acheter plusieurs fois… Et je ne sais pas m’expliquer pourquoi je n’ai toujours pas sauté le pas !
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Ta chronique est pleine de poésie, elle donne terriblement envie de se plonger à corps perdu dans ce roman.
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