BD de la semaine·Et mon coeur fait boum·Neuvième art·Tribune artistique.

Enferme-moi si tu peux – Pandolfo et Risbjerg

L’un d’eux, du fond de la mine de charbon dans laquelle son corps sue et s’use entendra ce murmure qui le poussera à peindre. L’une d’elles sera sauvée par une voix qui lui rappellera combien elle est vivante quand elle crée. Un autre dans une chute anodine verra dans une pierre le premier jalon d’une œuvre monumentale.

Ce qui me fascine chez vous, c’est ce que je n’arrive pas à trouver.

Ils ont six. Six à venir tour à tour s’asseoir sur un tabouret pour raconter un peu de ce qu’ils sont. Six hommes et femmes sur fond blanc, sur la planche qui s’est libérée de ses cases.  Et quel meilleur choix de faire disparaître le carcan formel du 9e Art pour ces artistes qu’on a préféré voir enfermés dans l’ombre et le silence des asiles. Autant de destins bridés et brisés qui vont trouver dans l’Art une expression nouvelle, modelée et incarnée par la création salvatrice.

Moi, les gens qui deviennent fous, ça me rassure.

Enferme-moi si tu peux donne une voix à ceux qui en entendaient tant. Augustin Lesage, Madge Gill, le Facteur Cheval, Aloïse Corbaz, Marjan Gruzewski, Judith Scott. Chacun d’eux à un jour tendu l’oreille à des paroles mystiques qui les auraient choisis pour prendre le pinceau ou le stylo, s’emparer de pierres pour de spectaculaires édifices, tirer sur le fil coloré qui noue les plus étranges cocons.

Et puisqu’il est difficile d’accepter les singularités, puisque la folie est la plus normée des étiquettes quand il s’agit de mettre une frontière avec ceux qui empruntent ces chemins hors des sentiers battus, ces quelques pages consacrées à ces artistes de l’Art brut ont tout d’un manifeste qui revendique cette part de liberté trouvée au cœur même d’un monde où l’enfermement faisait loi.

Les gens ont peur de ce qui est libre ou sauvage. C’est dommage, ça les limite beaucoup n’est-ce pas?

Chaque portrait est un avant-goût qui invite, en pointillé, à découvrir ces hommes et ces femmes aux esprits vagabonds, qui ont vécu leur art comme un appel soudain, impossible à contenir, comme une mission viscérale venant donner un sens à une existence de solitude légère, d’inexorable marginalité ou de cruel abandon. Fascinée par Séraphine de Senlis, (que j’aurais aussi aimé retrouver aussi dans ces pages) j’ai découvert des artistes dont j’avais pu entrevoir le travail au Musée d’Art moderne de Villeneuve d’Ascq. L’occasion d’y retourner au plus vite pour prolonger cette édifiante lecture.

Les hommes pensaient que la broderie retenait les femmes à la maison, que c’était une belle invention. Mais quand elles piquaient, tiraient, piquaient… au rythme du balancier de la pendule… étaient-elles vraiment là? Absolument pas. On tirait sur le fil et on partait dans la brume. Il fallait bien aller quelque part…

Enfin, en filigrane, derrière ces destins singuliers, se dessine aussi le visage d’une société qui ne sait que faire de ses êtres non-conformistes, de ses femmes un peu sorcières, de ses esprits illuminés qui avaient pourtant tant de choses à ne plus taire. Un album aux contours vaporeux très joliment mené donnant corps et mots à la folie qui traverse ces artistes-fantômes.

Pourquoi rester parmi les vivants quand on l’est si peu?

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Et pour prolonger cette lecture:

Séraphine de Senlis Françoise Cloarec

L’Art jusqu’à la folie d’Alain Vircondelet. (Essai)

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Enferme-moi si tu peux – Pandolfo et Risbjerg

Casterman

ISBN : 9782203162815

Mai 2019

168 pages  / 23€

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Ce mercredi…

La BD de la semaine est au milieu des livres!

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Chroniques des amoureux des bulles:

 

Stephie                Saxaoul                 Nath               Eimelle

 

Mylène               Audrey                 Blandine             Jérôme

 

Lucie                     Jacques                 Noukette

 

Caro                       Maël                  Soukee

 

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18 réflexions au sujet de « Enferme-moi si tu peux – Pandolfo et Risbjerg »

    1. J’avoue avoir beaucoup aimé ma visite du musée de Villeneuve d’Ascq qui compte une petite sélection d’Art brut. Et puis j’aime d’amour Séraphine alors ces destins-là me parlent.

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  1. Pourquoi pas ? Quand j’ai passé l’ABF il y a bientôt 20 ans, nous avions un dossier à faire (sujet tiré au sort : je suis tombée sur « l’art brut »). A l’époque je ne savais pas ce que c’était mais ce que j’ai découvert m’a beaucoup plu !

    Aimé par 1 personne

  2. A ce sujet, a un moment tu écris, l’occasion d’y retrouver au plus vite pour prolonger cette édifiante lecture. C’est ‘retourner’ que tu as voulu écrire, nop ! 🙂 Mis à part, c’est un bon retour de lecture, pas si simple au vu de la complexité de ces grands auteurs, et si bien mis en images dans cette BD. Bon, j’avoue que je ne l’ai même pas encore feuilleté et pourtant comme Steph, elle me tente depuis sa sortie…

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