L'Art du récit·Tribune artistique.

Une femme en contre-jour – Gaëlle Josse

Entrer dans une vie, c’est brasser des ténèbres, déranger des ombres, convoquer des fantômes. C’est interroger le vide et tendre l’oreille vers des échos perdus.

Vivian observe jusqu’au clic et déclenche le mécanisme photographique. Elle fige, elle fixe: elle dont la vie n’est qu’errances, mouvements, traversées de l’Atlantique. Au diable les contradictions pour cet esprit vagabond et ce corps incapable d’accepter la sédentarité. Sa manière de raconter son monde est de le saisir sur pellicule. Passantes, marginaux, jeux d’ombres, reflets de vitrine, portrait en miroir multipliés à l’infini… Chaque balade au cœur des rues et des quartiers fréquentés viendra nourrir une œuvre qui se construira dans le silence et l’indifférence. Jusqu’au jour où un carton, malle au trésor d’un autre temps, s’ouvre. Ainsi va renaître Vivian Maier.
Gaëlle Josse s’empare de son histoire après avoir compulsé un arsenal de ressources documentaires sur cette artiste méconnue de son vivant, désormais devenue une grande figure des photographes du XXe siècle. Je connais cette autrice pour l’enthousiasme et les passions que provoque sa plume romanesque. Elle signe ici un texte biographique qui tente de reconstruire le portrait diffus et mystérieux de cette femme si singulière, équivoque.
Les visages. Je suis, comme Vivian Maier, fascinée, obsédée par les visages. Par ce qui s’y lit, ce qui s’y dérobe. Approcher un parcours de vie, un chemin, une histoire. Approcher le grain de peau, le battement du cœur, du sang, le souffle, la sincérité d’une expression, le surgissement d’une émotion, suivre le tracé d’une ride, d’un frémissement des lèvres, d’un battement de paupières. Saisir les conflits intérieurs qui s’y jouent, les passions qui y brûlent, les douleurs qui affleurent, entendre les mots qui ne seront pas dits. Accompagner quelques êtres qui courent vers leur destin et nous interrogent sur le nôtre.
Ce récit – intéressant et agréable à lire – retrace son histoire en s’accommodant de nombreuses zones d’ombre. Il manque néanmoins un peu de sensibilité à mon goût. L’écriture sans fioriture, profondément sobre, n’a – je pense – ni la fougue ni l’émotion tant encensée dans ses romans: est-ce là le fruit d’une volonté d’être au plus proche des témoignages rassemblés ou de se démarquer des fantasmes qu’offre la fiction pour mieux s’ancrer dans le réel?
Une femme en contre jour permet d’entrer par les mots dans l’univers de Vivian Maier. Pour les connaisseurs, amoureux ou amateurs de l’artiste, il ne sera qu’un écho joliment agencé des petites et grandes lignes que nous connaissons déjà. Quelques pages ou passages sont assurément très beaux, mais j’attendais peut-être plus de cette plume: une singularité dans le récit que je n’ai pas nécessairement trouvée…
Reste à chacun l’envie de faire ou non un pas vers Vivan Maier, et de partir à la rencontre de ses merveilleux clichés qui n’ont nullement besoin de mots pour parler à chacun de nous.
Vivian est de ceux qui ne « sont » rien, qui ne demandent rien, n’attendent rien, n’exigent rien. de ceux qui subissent la façon dont va le monde, avec ses injustices, ses exclusions, ses violences. Elle est de la famille des perdus, des perdants, des abandonnés. Une effacée magnifique.
Le site officiel pour, à votre tour, aimer d’amour le travail de Vivian Maier.

Une femme en contre-jour – Gaëlle Josse

Éditions noir sur blanc – Notabilia

14€50 – 160 pages

Mars 2019

ISBN: 978-2-88250-568-2

37 réflexions au sujet de « Une femme en contre-jour – Gaëlle Josse »

    1. En fait je suis une vraiment une inconditionnelle de Vivian Maier. Et je n’ai pas eu la sensation d’apprendre quand chose en lisant ce récit. J’imaginais que Gaëlle Josse en ferait quelque chose de plus original. Notamment dans la manière de lier leurs arts. Je n’y ai trouvé qu’un texte très « scolaire » en fin de compte… En revanche, il me semble parfait pour un/e novice…

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    1. Moi aussi. J’entendais parler avec tant de ferveur de Gaëlle Josse. Je pense que le fait de s’attaquer à une biographie neutralise un peu l’originalité dans la narration… Mais c’est, selon moi, un très bon point de départ pour ceux qui la connaissent moins.

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  1. Même sentiment pour moi et pourtant j’aime beaucoup Gaëlle Josse mais je pense que cette fois-ci il y a un goût d’inachevé, comme si elle ne savait pas comment traiter le sujet…… J’avais vu un doc sur la 5 ou Arte sur cette photographe et je n’ai appris de plus….. Gaëlle Josse a d’habitude une façon originale de se glisser dans l’histoire et là j’ai trouvé qu’elle restait à distance…… 🙂

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  2. J’avais adoré « A la recherche de Vivian Maier » et j’ai bien évidemment envie de découvrir le livre de Gaëlle Josse malgré tes bémols. Je suis allée voir une petite expo de photos de Vivian Maier il y a deux semaines et elle avait vraiment un talent incroyable.

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  3. Les deux romans de Gaelle Josse que j’ai lus m’ont fait le même effet… On entend tellement de belles choses sur elle, certaines blogueuses sont dithyrambiques… que j’avais l’impression d’être un coeur de pierre ! A chaque fois je me dis : tout ça pour ça ! Je suis toujours un peu frustrée. J’en attend trop sûrement. En revanche, je note le nom de la photographe, j’aime beaucoup les deux photos que tu as mises dans ton article.

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    1. Cela me rassure un peu (et ne m’incite pas à me précipiter sur la suite de son oeuvre.) Mais j’ai Une longue impatience à portée de main… Je verrai bien si je me lance prochainement ou pas.

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