BD de la semaine·Et mon coeur fait boum

Les Filles de Salem – Comment nous avons condamné nos enfants – Thomas Gilbert

Tu vas saigner ma fille. Tous les mois, ton cycle reprendra. C’est ta punition pour devenir une tentation aux yeux des hommes.

C’est un petit présent en bois. Anodin. Un geste qui aurait indifféremment pu sceller une belle amitié ou une grande histoire d’amour. Mais quand on n’a pas encore quinze ans et que l’on vit à Salem au XVIIe siècle, tout geste paraît vite suspect, tout rapprochement délie les langues et attise les mauvaises intentions des curieux qui ne demandent qu’à nuire. Et être une jeune fille n’arrange rien à en lire l’histoire d’Abigail Hobbes.

Cette jeune fille brune éprise de liberté a vu le jour dans une ville gouvernée par la bêtise phallocrate et l’amour aveugle de Dieu. Dès lors qu’une demoiselle s’affirme, dès qu’une forte personnalité s’esquisse ou attire malencontreusement l’attention sur elle, il est de bon ton d’y voir un coup du diable. Une femme qui pense, une femme qui vit, une femme qui côtoie sans crainte l’étranger que tout le monde montre du doigt: quel danger ! Quelle hérésie !

Les filles comme toi, je vais vous détruire ! Les dépravées, les curieuses, les folles, comme je vous hais ! Vous allez être punies.

Nous sommes à Salem et nous assistons au fil des pages à l’engrenage infernal de la méfiance. Délations, accusations mensongères, ego sans scrupule qui trahissent, bassesses crasses: dans cette société où la morale condamne sans se préoccuper de la vérité, les hommes nourris de leurs peurs et de leur puritanisme primaire se font justiciers de pacotille. Leur cruauté éclate au grand jour et les innocents paient le prix fort de ce combat ignoble et imbécile.

– Ooooh ! J’extirperai ce mal qui te ronge ! Tu seras sauvée de l’enfer ! – Quel enfer? Celui de ne plus pouvoir marcher la tête haute? L’enfer d’être jugée pour ce que je ne suis pas? L’enfer d’être née femme à Salem?

C’est avec un talent évident que Thomas Gilbert mène ce récit haletant et passionnant, prenant le temps de gratter le vernis de cette petite ville, de laisser surgir les failles, et d’esquisser des personnages solides, transcendés par la révolte et la colère. Chaque visage voit progressivement l’apaisement et la quiétude lui échapper pour laisser place à des expressions douloureuses révélées par l’incompréhension et l’injustice dévastatrices. Le trait, qui ne se veut pas des plus convaincants au premier coup d’oeil, se montre finalement particulièrement en osmose avec l’univers dépeint. Terres verdoyantes, forêts apaisantes laissent croire naïvement à la victoire du beau et au triomphe de l’innocence. Hélas, nous sommes à Salem, en 1692 et nous savons tous que le feu et le sang n’attendent plus que l’étincelle qui laissera exploser toute la bestialité des hommes.

Une lecture d’une intensité folle qui vous prend aux tripes sans autre forme de procès.

Ce livre est dédié à toutes les sorcières d’aujourd’hui et de demain. Que le feu jamais ne s’éteigne !

Un album à lire avant de se lancer dans l’essai Sorcières, la puissance invaincue des femmes de Mona Chollet qui fait tant parler de lui…

Les Filles de Salem – Comment nous avons condamné nos enfants –

Thomas Gilbert

Éditions DARGAUD

ISBN:9782205077025

22 € / 200 pages

Septembre 2018

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Ce mercredi…

La BD de la semaine est au milieu des livres!

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Chroniques des amoureux des bulles:

Saxaoul             Sabine                Soukee                Brize      

Jacques                 Karine                Blandine              Mylène

Amandine              Audrey              Hélène            Nath           Noukette

 

Azi Lis              Maël               Caro             Stephie         Fanny

 

 

 

 

 

 

 

Les Filles de Salem – Thomas Gilbert

Éditions Dargaud

ISBN: 9782205077025

200 pages / 22€

34 réflexions au sujet de « Les Filles de Salem – Comment nous avons condamné nos enfants – Thomas Gilbert »

  1. Nous sommes synchro aujourd’hui ! Et je vois que nous avons toutes les deux aimé être retournées comme des crêpes ! Il faut dire que le propos est tout de même nécessaire et saisissant.
    PS : Quel rituel de sorcellerie faut-il opérer pour faire partie du cercle de la BD du mercredi ? 😉 Je ne m’y adonnerai pas toutes les semaines mais j’ai quelques BD sur le feu en ce moment ; je veux donc bien être des vôtres.

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