C’est lors d’un repas gargantuesque, digne d’un épisode rabelaisien que naissent les fils du roi. Pendant que le vin coule à flot et que les hommes se gavent comme des ogres sans retenue, la Reine enfante dans l’ombre de la fête. Les héritiers voient ainsi le jour. Ils sont trois et remportent la curieuse récompense d’une loterie dont ils auraient préféré se passer.
Pour l’aîné, une langue en or, pour le cadet des yeux dorés et pour le benjamin des oreilles du même métal précieux.
Dévoré par la vanité et l’arrogance, le Roi voit dans cette malédiction une richesse supplémentaire pour son royaume. Si ses enfants sont nés ainsi, c’est que le destin lui prouve que sa fortune n’a aucune limite. Il offre alors, maigre compensation, trois alliés à ses fils, pour pallier ces sens qu’ils ne possèderont jamais.
Un perroquet bavard, pour le fils muet. Un renne guide agile pour le fils aveugle, un chien alerte à l’ouïe fine pour le fils sourd.
Gonflé d’orgueil et rongé par la fierté, le stupide souverain va jusqu’à afficher sa préférence pour l’un de ses fils. Sa femme suit le même chemin et voilà qu’Oddvin, prince aveugle qui grandit dans la solitude, décide de quitter le palais, guidé par son unique compagnon. Commence alors une échappée à travers ce royaume inconnu. Il le sait désormais, sa vie ne sera qu’errances et pérégrinations.
Lorsqu’il joua de la flûte le soir devant le feu, Oddvin entendit pour la première fois de sa vie le cri de son peuple qu’il découvrait peu à peu.
Durant ce voyage, le Prince écoute, sent, palpe, éprouve ce monde qu’il méconnaît. A chaque journée sa rencontre, à chaque chemin son témoin. Sur le dos de son renne, il écoute avec attention les animaux de la forêt qui l’informent de la gravité de la situation. Il comprend vite que le confort du palais a un prix. Celui de la souffrance, de la faim, du manque. Pendant que les uns vivent dans l’opulence, d’autres crèvent à petit feu. Ne serait-il pas temps pour le jeune Prince de faire demi-tour et de raisonner sa famille en portant la voix du peuple qui s’éteint?
J’attends chaque album de Régis Lejonc avec une impatience égale à l’admiration que je lui porte. C’est avec Franck Prévot qu’il signe ici un titre au carrefour de l’album et de la bande dessinée. Si les premières pages ont des airs de manuscrit médiéval ou de livre de contes, le neuvième art trouve également sa place et glisse ses bulles pour rythmer cette quête initiatique au coeur d’une nature grandiose qui crie le désarroi des hommes. Les ressorts du conte sont là avec ce qu’il faut de merveilleux, de cruauté et de leçon à tirer. Le monde manichéen est malmené par les puissants et les oppressés subissent l’outrecuidance des Grands. Seul Oddvin, héros singulier, fait figure d’exception et incarne ce fil fragile qui lie inconsciemment les deux mondes.
– Je sais que mes parents ont opprimé leur peuple ! Je le sais, désormais.
– Bien ! Si tu en es conscient, tu as déjà accompli une partie de ton chemin de brume.
C’est un album magistralement mené que nous ouvrons ici. Un récit lumineux, amer et cruel où l’orgueil se met sous cloche et s’expose aux yeux des passants comme des mises en garde qui glacent le sang. Prévot et Lejonc s’inscrivent, avec un indéniable talent, dans la lignée des grands conteurs réveillant en nous les enfants amateurs d’histoires, éveillant les consciences d’adultes avisés, capables de sentir les liens tangibles que cette histoire entretient avec la modernité.
Que se passe-t-il Pern’? (…) Pourquoi ne me dis-tu pas les mots de tes yeux?
C’est graphiquement étonnant et à la fois très familier quand on aime le travail de Lejonc. Riche d’enluminures d’un autre temps, l’objet livre est une merveille qui se prêtera à bien des relectures et des interprétations. C’est exactement là, la force de cette histoire au souffle poétique aigre-doux qui n’est pas sans rappeler l’immense pouvoir des fables…
Régis Lejonc au milieu des livres:
Cœur de bois / La rue qui ne se traverse pas / Qu’ils y restent / Le phare des sirènes / Kodhja.
Oddvin, le prince qui vivait dans deux mondes
Franck Prévot & Régis Lejonc
ISBN: 978-2-35558-141-0
17€90 / pages
Dès 8 ans
ça a l’air assez extraordinaire! si je le croise je jetterai un oeil!
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Comme toujours, tu arrives à me donner envie de quelque chose qui ne me tentait pas au départ 😉
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Amer et cruel, c’est ce que je préfère dans les histoires…
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Je ne connais pas encore Régis Lejonc, et tu me donnes très envie d’y remédier.
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J’ai presque tout lu de lui. Je l’adore.
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Moka…………………. tu es ma diablesse préférée !
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Ohalala… J’adore Régis Lejonc, c’est tellement beau et celui-ci ne fait pas exception!
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Et bien là, je dois le découvrir 🙂
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J’aurais bien aimé voir quelques images pour me faire une idée. Tu en parles avec un tel plaisir que cela me fait envie.
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J’ai écrit ma chronique à 6h du matin en 35 min. Pas le temps d’ajouter des planches. Je le ferai d’ici ce week-end. Tu pourras ainsi te faire une idée.
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Elle est inhabituelle du point de vue graphique cette première de couverture !
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là tout de suite, il me fait très envie, surtout que je ne connais pas ce M. Lejonc!
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Je ne connais pas, j’adore les illustrations je note !
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Le format a l’air trippant en tout cas! Je ne connais pas du tout, merci pour la découverte.
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L’histoire me fait un peu penser à celle de Siddhartha…
Tu donnes très envie de la découvrir. Et j’aime beaucoup de travail de R. Lejonc
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Très proche des contes et très beau graphiquement. Je note
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Ben oui, Lejonc, forcément… ❤
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Je l’ai déjà feuilletée mais il faudrait que je la lise vraiment !
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J’ai beaucoup aimé cet album, qui fait partie de ceux qui restent.
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Exactement !
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Mouais… Je ne suis ni tentée par l’histoire ni par l’esthétique…
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Tant pis pour toi!
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Il est si joli qu’il en est tentant.
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Original ! 🙂
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Pourquoi pas ? J’aime les contes (et les albums et les bd !) et tu sais bien nous tenter !!
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