Et mon coeur fait boum·L'Art du Roman·Prix littéraires·Que jeunesse se fasse...

Milly Vodović – Nastasia Rugani


Personne ne l’a jamais regardée comme si elle était un monde entier à explorer. Avant ce garçon-armure, elle n’était que fille et soeur. Et même si elle aspirait à être tout, elle demeurait coincée dans le regard des autres. […] Milly sera mille splendeurs. Elle s’inventera à l’infini.

Elle n’a que douze ans mais elle a vraisemblablement parfaitement conscience que le monde dans lequel elle vit est d’une complexité qui laisserait perplexes, bien des gens de son âge. Elle est une jeune fille, elle deviendra femme, à condition qu’elle accepte de quitter l’enfance – à défaut de laisser l’enfance la quitter.

Milly. Milky. Milly Vodović. Qu’importe le nom qui la désigne, il vous faut, amoureux de la littérature, partir à la rencontre de ce personnage et de tout l’univers qui gravite autour d’elle. A Birdtown, les gens se toisent, s’épient, se détestent, se méfient. Cette Amérique cosmopolite a pris du plomb dans l’aile et la richesse de sa diversité culturelle est désormais devenue son pire ennemi.

Ce n’est pas la première fois qu’elle se sent d’automne.

Alors quelle place va-t-elle trouver la stupéfiante Milly au milieu de ces garçons qui se haïssent avant même de se connaître? Quelle vie va-t-elle pouvoir mener après son tremblement de terre familial, provoqué par la bêtise des hommes? Et si l’ultime échappatoire était de se laisser emporter par l’imaginaire et la fiction? Si la clé se trouvait dans les livres de la bibliothèque où se rendait si souvent son frère? Alors que tout le monde se moque de trouver le traître, le coupable, Milly n’ a que faire des frontières que dressent entre eux les habitants de la ville. Elle refuse la peur et se moque des convenances. Elle se laisse même le droit de trembler pour d’autres raisons que la crainte et la peur.

Aux yeux des habitants de Birdtown, la vérité a aussi peu d’intérêt qu’un paquet de cigarettes vides. Être la fille d’une immigrée bosniaque, et la sœur d’un musulman, suffit à représenter un danger pour la communauté; de la graine de terroriste.

Ce roman est d’une beauté sauvage, exigeante, troublante et il ne se laisse pas apprivoiser sans un effort de lecture. A la manière d’une tisseuse, il  faudra déployer toute l’attention nécessaire pour démêler ces fils qui vous mèneront jusqu’aux dernières pages, la gorge nouée et le cœur battant.

Tu verras, c’est comme ça l’adolescence. C’est emmêlé et vicieux, surtout au début.

J’ai éprouvé des émotions très fortes, parfois contradictoires en lisant ce roman. De celles qui laissent une place à cette fragilité qui vous saisit autant qu’elle vous touche et que j’avais pu ressentir en lisant Quelques minutes après minuit ou  La Langue des bêtesSi ces titres n’ont pas grand chose à voir en terme de narration, ils disent pourtant avec une furieuse justesse, à travers un verbe poétique saisissant, ce que signifie pour les héros d’être en marge, à la lisière d’un monde qu’ils apprennent à contempler autrement.

Sur le pas de la porte, ses pieds nus font bien attention de ne pas traverser la frontière entre elle et la douleur. Elle la tient à distance, dans cette pièce, et ailleurs à quelques pas. Juste ce qu’il faut pour que le quotidien reprenne le dessus. Elle sait qu’un jour, au beau milieu d’une conversation […] la souffrance décidera pour elle. Elle lui dira: Maintenant. Et lui fera perdre la tête quelques semaines.

Nastasia Rugani signe ici un roman qui ne mérite pas qu’on le classe, qu’on lui impose tel ou tel lectorat. Il clouera insolemment le bec à ceux qui réduisent la littérature jeunesse à des textes légers et sans envergure, imposant sa plume, sa narration trouble et mouvante. C’est un livre dans lequel s’immiscent les cauchemars assourdissants, les créatures qui apaisent ou effraient, les espoirs qui bouillonnent avant l’entrée dans la vie d’adulte.

Tout est préférable à l’absence.

L’autrice explore avec un talent fou les mille visages et ambiguïtés de la narration en laissant une faune et une flore singulières, se frayer un chemin entre le réel et l’onirisme, ne craignant pas les ellipses et les silences. Elle couronne ainsi son histoire d’un mystère palpable et c’est aussi beau que troublant.

Dans ce livre, le pouvoir de la fiction impose ainsi ses règles et sème le doute, faisant de ce récit une histoire étrange et hypnotique qui rappelle combien la Littérature, quand elle est confiée à une telle plume, sait être grandiose et époustouflante.

Ma pépite d’automne. ♥

Comment font les gens pour porter tous ces gouffres en eux sans jamais devenir fou ?

Une lecture pour ma semaine Montreuil is coming ! En espérant croiser quelques-uns d’entre vous dans les allées du Salon du livre et de la Presse Jeunesse !

Le site de Nastasia Rugani

Milly Vodović – Nastasia Rugani

Éditions MeMo – Collection Grande Polynie

220 pages / 16€

ISBN: 9782352893929

Septembre 2018

Prix Vendredi Mention spéciale

 

31 réflexions au sujet de « Milly Vodović – Nastasia Rugani »

  1. Je ne connais absolument pas mais ton article est vraiment titillant ! Effectivement il y a bien des pépites en littérature jeunesse et il est réducteur et profondément faux de dire que c’est une littérature simple et sans âme.

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  2. J’aime cette maison d’édition que je viens de découvrir cette année grâce à deux romans pour les plus jeunes et là, j’avoue que ton billet me donne terriblement envie d’acheter ce livre là maintenant tout de suite. Mais nous sommes dimanche…

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