BD de la semaine·Et mon coeur fait boum

Malaterre – Pierre-Henry Gomont

Gabriel est parti ce jour-là avec la majesté d’un roi tragique, quoique titubant légèrement sous l’influence d’une eau-de-vie ingérée de bon matin. […] Compte-tenu des rapports assez lâches que notre sujet entretient avec la vérité, il n’est pas illégitime que le doute persiste dans l’esprit du biographe.

Gabriel est une ordure, un homme qui ne lésine pas sur les moyens pour parvenir à ses fins et qui lève le coude un peu trop souvent pour s’imbiber d’alcool et laisser s’exprimer ce qu’il a de plus sulfureux et odieux en lui. N’en déplaise à ceux qui croisent sa route, fréquenter Gabriel, c’est vendre sa candeur et son âme à un diable des affaires et de l’immoralité. Et la première à payer le prix fort d’avoir été dupée par cette ordure  est sa femme qui va lui donner ce dont il a besoin pour faire perdurer ses rêves de toute puissance: des enfants, une succession assurée, des héritiers pour garantir la pérennité de  son exploitation familiale de bois au coeur d’un illusoire paradis perdu.

Ne t’inquiète pas, tu n’es pas le premier à me décevoir. J’ai tendance à trop attendre de mes amis.

Sans se soucier le moins du monde des drames qu’il engendre et des déchirements qu’il provoque, Gabriel manipule tous ceux qui se trouvent sur son chemin et les billets pleuvent quand il s’agit d’obtenir ce dont il a besoin. Le pouvoir et l’argent ne lui suffisent évidemment pas et s’il est une chose que Gabriel aime par dessus tout, c’est cette ascendance malsaine et profonde que ses beaux discours et son éclat apparent provoquent sur les esprits. Ses manipulations opportunistes l’entraînent dans une spirale infernale qui laisse entrevoir un chemin jalonné de compromis coupables et d’actes insolemment indécents.

En habile phraseur, il sait choisir les vérités qui l’arrangent.

Dans cette chute vertigineuse, il n’a aucun scrupule à entraîner ses enfants et les modèle à sa guise en se montrant aussi mauvais père que chef d’entreprise. Son foie imbibé d’alcool et son cœur rongé par la cupidité viennent s’ajouter au portrait peu flatteur du personnage qui brille par ses défaillances et son indécrottable malhonnêteté. Le diable a trouvé un rival de taille, mais n’a pas dit son dernier mot.

Chaque jour ou presque, il frôle la mort. Miracle, baraka, bonne étoile, comme on veut, Gabriel s’en sort.

Pierre-Henry Gomont fait – depuis quelques albums – partie de ces auteurs dont les publications sont attendues avec une impatience rare et précieuse. Après l’excellent Pereira prétend, sa capacité à maîtriser l’art romanesque n’est plus à prouver et Malaterre s’inscrit une nouvelle fois dans cette lignée des romans graphiques qui savent vous imposer leur force et leur fougue. Le sens de la narration est impeccablement maîtrisé et ses personnages sont savamment travaillés, étoffés tant du point de vue de leurs actes que de leur psychologie. Qu’ils soient secondaires ou sur « le devant des planches », ils parviennent à captiver votre attention aussi détestables ou innocents soient-ils. Ajoutons à cela que la plume de Gomont est d’une sensibilité jubilatoire tant elle porte en elle une puissance littéraire qui ridiculiserait tout propos de mauvaise foi des détracteurs du genre.  Ironie notoire, subtilité grinçante, verbe noble et fausse légèreté désabusée: le scénario impose sa force à chaque planche.

Pragmatique, il a prévu de ne s’épargner aucune courbette, aucun rond de jambe, aucune compromission.

Et en accord parfait avec ce récit qui dépeint les frasques familiales d’un homme sans foi ni loi, le dessin est un régal à chaque page. Le trait griffe la planche et s’approprie la case avec une touche familière pour ses lecteurs et à la fois une volonté constante de renouvellement. Les trouvailles graphiques exploitent tous les ressorts narratifs et visuels et les bulles ne se contentent pas des mots pour dire toutes les émotions qui traversent les personnages.

Ainsi, le dessin – extrêmement chiadé sans pour autant être lisse – sait aussi se faire mouvant quand l’action l’exige, les jeux d’ellipses en disent long et les décors fascinent dans des planches qui savent s’imposer au cours d’une lecture inlassablement rythmée et captivante. Autant d’atouts pour un album qui confortera l’idée que Pierre-Henry Gomont offre un souffle exigeant et singulier sur le 9e Art. Et autant dire que cela me plaît infiniment.

Pierre-Henry Gomont au milieu des livres: Rouge Karma / Les Nuits de saturne / Pereira prétend /

La chronique enjouée de Cristie.

Malaterre – Pierre-Henry Gomont

Dargaud

ISBN: 9782505071853

24 € / 192 p

Chez Noukette

 

 

43 réflexions au sujet de « Malaterre – Pierre-Henry Gomont »

  1. Bon… Moka… je capitule… je signe où le chèque en blanc que je dois laisser à mon libraire avec la liste des livres et BD que tu me donnes envie de découvrir !!!!!!! Je t’adore toi, tu le sais !!!?

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  2. Ping: Malaterre

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