BD de la semaine·Neuvième art

Traces de la Grande Guerre – Collectif

A la guerre Petra, il n’y a pas de gagnant. J’ai survécu à deux d’entre elles. Ce n’est que famine, souffrance, mort et douleur.

La terre a dévoré, enseveli, digéré. Elle a embrassé les corps des soldats pour une éternelle étreinte. Certains jours, peut-être de peur qu’on l’oublie, elle recrache le passé comme un monstre digérant inlassablement sa proie. Certains matins, elle rend l’homme disparu et lui offre quelques instants la lueur des beaux matins. Les hommes sont au sol, portés disparus, entre deux gares, dans des bras aimants ou amis. Les femmes attendent, oublient, revivent malgré elles. Les enfants ne naîtront pas toujours, les adolescents n’auront pas toujours conscience du poids de l’Histoire qui les a conduits sur ces lieux de mémoire…

J’ai appris à vivre en pensant que je pouvais mourir à chaque seconde.

Traces de la Grande Guerre. Dans l’esprit des plus jeunes, ce sont les lignes tracées dans des cours d’Histoire.

Traces de la Grande Guerre. Dans l’esprit des plus vieux, ce sont des blessures comme des entailles profondes, des silences de taiseux.

Traces de la Grande Guerre. Dans le cœur des hommes, ce sont des ancêtres sacrifiés, une génération de héros qui n’ont pas tous vu à quel point brillaient leurs médailles.

Traces de la Grande Guerre. Dans l’esprit de l’Humanité, ce sont des absents à ne jamais céder à l’oubli.

Traces de la Grande Guerre. Sous le pinceau, le crayon ou l’encre, ce sont des planches qui saisissent la mémoire sur le papier.

La Grande défaite en tout, c’est d’oublier. Louis Ferdinand Céline

Dans cet album, fruit d’un véritable travail collectif ambitieux, l’imaginaire se mêle ainsi à la réalité historique, la poésie aux cases, la philosophie aux bulles pour que chaque auteur pose son regard toujours très singulier sur un des événements les plus traumatisants de l’Histoire. Si les Hommes sont les protagonistes de bien des planches, certains auteurs font aussi le choix de faire d’un lieu le personnage à part entière d’une histoire. On met ainsi en lumière un paysage meurtri sur des noms tristement connus dans la Somme. La Boiselle, Albert…: autant de terres ayant baigné dans le sang des Hommes.

Plonger dans ces planches, c’est aussi croiser au détour des pages des citations d’Hommes de lettres qui ont un jour pris la plume pour laisser eux aussi les traces des conflits qui ont marqué leur génération. Genevoix, Remarque, Vocance: les paternités littéraires sont aussi belles que nombreuses et l’aura de leur talent plane sur chaque histoire.

Mais lire cet album, c’est aussi mettre le lecteur face à un perpétuel renouvellement des récits au carrefour des nationalités, aux points de vue pluriels. Quant à l’approche graphique, là encore la diversité est de mise:  le trait qui griffe, la froideur énigmatique du noir et blanc, la peinture qui étale le sang, l’eau qui noie l’aquarelle comme la boue qui éclabousse, l’éclat de la couleur, le crayon qui souligne les contours fantômes, les collages qui rafistolent, soudent les déchirements, la photographie qui scelle les instants et évidemment, les encres qui viennent faire en sorte que les mots graves ou plus légers s’en mêlent.

Jeunesse , grave et réfléchie / Pour avoir, merveilleux prodige, / Connu la mort avant la vie. Julien Vocance

Raconter encore La Grande Guerre à l’heure où les jours nous mènent vers les ultimes célébrations du centenaire et après la production littéraire florissante de ces dernières années a quelque chose d’un audacieux pari. Même pas peur. On tourne les pages de cet album en se laissant surprendre et l’on saura apprécier le choix de certains auteurs de sortir des sentiers battus dans l’art du récit de guerre. Si certains d’entre eux nous plongent au coeur du conflit, d’autres racontent avec beaucoup de sensibilité d’autres traces plus en marge, plus insidieuses et non moins dévastatrices, de même qu’ils n’hésitent pas à accorder aussi, une place au monde contemporain qui interroge, à sa manière, le monde d’hier qui ne lui est pourtant pas si lointain…

Un projet à la hauteur de ses ambitions qui a trouvé de sublimes échos dans un spectacle de Régis Hautière présenté à la Maison de la Culture d’Amiens il y a quelques jours.

Parfois, tuer un monstre peut en créer un plus terrible encore.

Traces de la Grande Guerre – Collectif

On a marché sur la Bulle

Ville de Kendall / Mission centenaire

ISBN:979-1-09-211188-0

Octobre 2018

22 € / 144 pages

Sans une trace… Robbie Morrison & Charlie Adlard / Impénétrables empreintes Riff Reb’s / A la mine comme à la mine ! Jean-David Morvan, Scie-Tronc & Hiroyuki Ooshima / Pourpre – Mikiko / Un joli petit villageMaël / Toutes ces gares perdues où elle m’a attenduKris & Diaz Canales / Guerre Éternelle – L’Atelier Virtuel / Corps à corps Aurélien Ducoudray & Efa / Faute de munitions– Joe Kelly & Ken Niimura / Jeux de guerre – Ian Rankin, Sean Phillips & Peter Doherty / Herein ! Marguerite Abouet & Ergün Gündüz / A qui la faute? Victoria Lomasko / Esquisse de l’océan – Simon Armitage & Dave McKean / Mémorial Simon Armitage & Dave McKean / T’es sûrEdmond Baudoin / L’Allemagne doit payer ! Mary Talbot & Bryan Talbot / Kilomètre zéro Régis Hautière et Thomas Von Kummant / Le Bateau de la liberté – Orijit Sen / Shell Shock Denis Lapière & Aude Samama.

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Ce mercredi…

La BD de la semaine est au milieu des livres!

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Chroniques des amoureux des bulles:

Amandine            Karine           Blandine            Audrey

Saxaoul             Fanny               Jacques                Mylène

Brize                  Caro                 Sabine                    Sylvie

Azi Lis             Nath              Nouk          Soukee        Sandrine

 

 

 

 

35 réflexions au sujet de « Traces de la Grande Guerre – Collectif »

  1. Moka ma belle Camille… Quand cesseras tu de me donner des envies de constituer des piles et montagnes de BD… Tu es une irresistible diablesse démon ange gardien. Merci pour tes mots et tes chroniques qui à chaque fois sont justes, parfaites, neutres et irrésistiblement savoureuses. Encore j’en veux encore du Moka Camille !!!!

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    1. Je ne chercherai pas à te convaincre davantage. Libre à toi de passer à côté de cette merveille.😁
      Toutefois, la guerre n’est à mon sens qu’un prétexte pour nous amener vers une révélation qui ne pourra que te toucher !

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