L'Art du Roman·Rentrée littéraire

Ça raconte Sarah – Pauline Delabroy Allard

Elle ressemble à un personnage de roman. Elle ne se rend pas compte que c’est douloureux pour les autres qui l’entourent. Elle est vivante.

Si l’on ouvre ce roman, c’est pour s’entendre raconter Sarah. La passion, la claque, le cataclysme. Le chaos qui entre dans votre vie par hasard en bousculant un peu vite vos petites habitudes et qui en sort sans discrétion, avec perte et fracas, vous laissant friable et inconsolable.

Il y a des magnolias en fleurs dans les squares parisiens, et j’ai dans l’idée que ça écorche le cœur de ceux qui les remarquent.

Alors évidemment, lire ce roman, c’est effleurer Sarah du bout des doigts, c’est caresser sa peau en tournant les pages, c’est entrer dans une sphère intime que la littérature livre avec une certaine pudeur ou un érotisme délicat. Lire ces pages, c’est aussi céder à la tentation de la colère et de l’agacement. Parce que Sarah est une tornade d’émotions et de contradictions et qu’il est parfois difficile de comprendre comment tenir face à une telle révolution dans le coeur et les tripes.

Elle ne m’aime plus. Elle ne veut plus m’aimer. Elle ne veut plus des petits matins où la radio qui hurle vient séparer nos corps stupéfaits de s’aimer autant. Elle ne veut plus des rires dans le téléphone, de la jubilation d’assortir si bien nos mots, nos drôleries, de nous accorder si parfaitement que la vie sonne juste tout le temps.

J’ai souvent lu de ce premier roman qu’il diviserait ses lecteurs, qu’on l’aimerait ou le détesterait. J’avoue jouer les funambules avec ce titre et rester sur un entre deux qui m’empêche de pencher d’un côté ou de l’autre… Pas aussi novateur que cela en matière d’écriture – comme on tend pourtant à le souligner dans de nombreuses chroniques – je ne peux néanmoins pas nier ce redoutable talent pour dire l’amour dans un tourbillon d’émotions vertigineuses. Et si cet amour-là remue les entrailles de la narratrice, cela n’est pas parvenu avec la même force jusqu’à moi.

Elle sort de ma vie comme elle y est entrée, pleine d’allant. Victorieuse.

La prose épouse ainsi le souffle dans toute sa fougue et sa diversité. Celui de l’étreinte: haletant,  celui de la panique: saccadé, tranchant, celui de la fuite: épuisant, celui de la passion: fulgurant, celui de l’adieu: déchirant. La plume anaphorique sert les névroses et les obsessions, joue avec les redondances, et couche sur le papier une histoire incandescente et destructrice. Mais rien d’autre ne compte en dehors de raconter Sarah.

Mais étonnamment, ce que j’ai préféré dans ce récit, c’est aussi et surtout que ça raconte celle qui aime Sarah. Sa douleur, ses enthousiasmes des premières fois, ses trop-pleins, ses grands vides face à cette femme qui vient bouleverser sa vie. Derrière le portrait de Sarah, elle se raconte, sous l’emprise de cette sensibilité explosive qui souligne toute sa finesse et sa fragilité.

Un livre qui place deux femmes face à un même miroir qui réfléchit à contretemps leurs excès, accentue leurs failles et ravive les cicatrices impossibles à dissimuler.

Quelle douceur c’était de savoir qu’elle existe; d’en avoir la preuve. Je ne pense plus qu’à ça. Aux traces, aux preuves, au corps. Aux corps encore. Mais surtout, surtout au tangible. A ce que l’on peut toucher tant qu’on le peut encore.

Ça raconte Sarah – Pauline Delabroy Allard

Les Éditions de Minuit

15 € / 192 pages

6 septembre 2018

ISBN: 9782707344755

Rentrée littéraire août / septembre 2018

Deuxième sélection pour le Prix Goncourt 2018

30 réflexions au sujet de « Ça raconte Sarah – Pauline Delabroy Allard »

    1. Je l’ai acheté le jour de sa sortie et j’ai enfin pris le temps de le lire ce week-end. Avec la rentrée j’ai eu un peu de mal à jongler entre les cours et les chroniques. (Je pense que l’emprunter peut suffire. )

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  1. Je continue de le trouver novateur dans cette alchimie parfaite entre la passion et la langue. Pour un premier roman je trouve qu’il bouscule quand même sacrément les codes… Je ne sais pas ce qu’il m’en restera dans quelques mois mais j’en suis ressortie épuisée tant je l’ai trouvé vertigineux !

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