Et mon coeur fait boum·L'Art du Roman·Lire l'ailleurs.·Rentrée littéraire

Ásta – Jón Kalman Stefánsson

C’était une douleur. Ce ne cessera jamais d’être douloureux. Nous devons continuer à vivre en veillant à pratiquer des brèches dans le silence. Moi j’ai tout rangé. Voilà, j’ai tout. Tout. Je n’ai jamais compris ce mot. Comment survivent ceux qui jamais ne peuvent parler de leur amour? […] Je suis entré dans le phare. Chargé de livres, de musique et de souvenirs, j’entre dans la lumière qui fend la nuit.

Helga et Sigvaldi s’aiment avec la passion des jeunes premiers. Ils ont à peine vingt ans quand leur fille vient au monde et décident de lui donner le nom de l’héroïne d’un roman qui les a émus durant la grossesse d’Helga. Ásta, porte ainsi en elle la lourde parenté littéraire d’une histoire triste et sombre. Mais qu’importe puisque ses parents ne lui souhaitent que des jours radieux. Ce sont ces jours qui nous sont alors contés. Ses années pleines de fougue, d’insolence, d’hésitation.

Et qu’il est délicieux d’avoir hâte de vivre!

Enfance, adolescence, départs, secrets, fuites, expériences et désillusions. Jón Kalman Stefánsson met à rude épreuve la notion de famille et chahute les liens qui unissent les êtres. On se fuit, se déteste, on réapprend à vivre, on s’aime pour mieux s’éloigner si revenir paraît insurmontable. La palette émotionnelle est vaste, flirtant avec le sensible, ne lésinant pas sur la dureté, s’autorisant parfois un lyrisme désuet qui nourrit toute la mélancolie du récit.

Nous ne nous sommes toutefois pas dit adieu. Nous avons simplement interrompu notre conversation et disparu l’un pour l’autre.

Ásta est le roman d’une famille islandaise qui se regarderait dans un miroir brisé tant la narration y est éclatée. La vie d’Ásta et de son entourage se révèle par bribes, se distille au compte-gouttes, au fil des chapitres désordonnés. Sigvaldi tombe d’une échelle, ne parvient pas à se relever mais livre à une passante ce que fut sa vie de père, d’époux ou de grand-père. Ásta, quant à elle, écrit des lettres d’amour comme on jette des bouteilles à la mer. Chacun reconstitue une histoire familiale en éclairant le lecteur par un habile jeu d’échos entre les chapitres.

Des baisers autrement plus grandioses et brûlants t’attendent là-bas.

La lecture de ce roman est d’une densité folle et l’on saura lui pardonner quelques redondances ou longueurs. Chacun y trouvera ce qu’il faut de drame et de désillusions, ce qui fait la force des relations qui nous unissent aux autres. Un roman islandais qui s’offre ce qu’il faut de tragique et de poétique dans lequel les poètes arrosent leurs proses et leurs envolées lyriques de vodka, où les corps se livrent aux pulsions charnelles, où les familles éclatent avec perte et fracas. Moi j’ai plongé au coeur de ces vies,  dans ces pages-là, prise dans les remous de leurs éloignements et de leurs peines. Spectatrice conquise de ce personnage féminin indécis, pas si innocent, gonflé de colères, d’incompréhensions et d’absences.

C’est une première entre Jón Kalman Stefánsson et moi (même si Jérôme m’a souvent encouragée à lire sa trilogie islandaise) et autant dire que cette plume fait une entrée plus que remarquée dans ma rentrée littéraire.

Comment te fuir autrement qu’en sombrant […]? En buvant? […] Certes, à la première gorgée, j’ai vu ton sourire, mais ton absence m’attendait toujours après le dernier verre. Le problème est le suivant: tu existes. C’est l’erreur que je ne parviens pas à éviter.

FannyFolavril et Amandine, conquises.

Ásta – Jón Kalman Stefánsson

Traduit de l’islandais par Eric Boury

Éditions Grasset  29 août 2018

ISBN: 9782246815938 

23€ / 496 pages

Rentrée littéraire Août / Septembre 2018

34 réflexions au sujet de « Ásta – Jón Kalman Stefánsson »

  1. La trilogie reste son sommet (surtout La tristesse des anges) mais tout ce qu’écrit ce monsieur me fait vibrer d’une façon aussi unique qu’inexplicable. Il dit le monde, l’amour, la vie, la mort, les gens, le sexe comme aucun autre auteur ne le fait dans la littérature actuelle. Et puis la traduction d’Eric Boury est toujours sublime, c’est loin d’être un détail quand on lit un roman étranger d’une telle qualité.
    Voir Stefansson ici me fait chaud au coeur, tu t’en doutes. J’ai l’impression qu’il a trouvé dans tes murs un écrin à la hauteur de son talent ❤

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  2. Je mettrais demain mon billet sur cette lecture faite comme jurée du Prix des Explorateurs de la Rentrée Littéraire 2018 et c’était pour moi une découverte de cet auteur. Ecriture magnifique mais j’ai quelques petites réserves…… Ce qui ne m’empêchera pas de continuer à le découvrir. J’aime son regard sur notre monde, son écriture, son amour pour son pays et ses paysages…..A demain

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  3. Oserais-je espérer qu’il fait partie de ta sélection pour les matchs de la rentrée littéraire ? :p
    Pour ma part, j’ai un parcours tranché avec Stefansson : j’ai adoré son premier roman, détesté le suivant qui, à mon sens, ne fait qu’exploiter le filon du roman précédent sans rien renouveler ni dans la forme ni dans le fond – et j’ai horreur des écrivains paresseux. Mais avec Astà, je me sens d’attaque à retenter l’aventure, pour voir ce que donne sa plume avec quelques années de maturité.

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    1. Ose, ose… ^^ (Suspense !)
      Je n’en suis qu’à mon premier donc je commence avec un coup de coeur. Et je ne compte pas en rester là, prête à ne pas tout aimer, prête à succomber une nouvelle fois.

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