68 premières fois·L'Art du Roman

L’Atelier – Sarah Manigne

Autrefois, sa voix était un murmure. Mais elle ne m’était pas destinée. C’était un souffle qui disait « Edouchka ma douce… »

Odile est la fille d’un couple qui n’a que faire d’elle. Fruit d’une histoire tumultueuse entre une mère aussi égoïste qu’égocentrique et un père artiste-peintre, elle arrive dans leur vie sans vraiment bouleverser leur routine mondaine.

Obnubilée par la construction « sociale » de son époux, la mère d’Odile laisse le soin à sa gouvernante de prendre en charge l’éducation de cette demoiselle, éternelle délaissée. A travers ses yeux, nous observons ce duo amoureux et cernons assez vite les failles qui le fragilisent. Pendant que le couple se façonne aux yeux du monde artistique, l’enfant assiste passivement à une vie dans laquelle personne ne lui offre une place.

Il était Louis Lerieux, elle a inventé Louis Capelan. Elle a immédiatement cru en son talent et y a cru tellement fort qu’elle l’a forcé à y croire lui-même. Jusqu’alors il avait multiplié les portraits, exposé lors de divers salons avec une petite gloire, mais, comme elle le lui répétait inlassablement : Tu n’avais pas assez faim, mon cher Louis.

Ouvrir ce roman, c’est pousser une porte. Celle d’un atelier d’artiste où le talent se niche sur la toile, où le père retrouve, sur le tard, sa fille pour réaliser son portrait et ce pour la première fois de sa vie. Comme un pinceau glisse sur la toile, Sarah Manigne laisse filer la plume sur le papier pour faire de ce premier roman le récit sensible d’une histoire de famille qui n’en est pas véritablement une. Jouant les discrètes, écrasée par cette figure maternelle exubérante, Odile choisit l’effacement, et alors que les contours de son corps s’affinent dangereusement, la voilà qui apprend à exister à son tour à travers l’Art.

Elle est terrifiée à l’idée de ressembler à quelqu’un d’autre. Tout se doit d’être nouveau. Unique. Les noms, les choses et elle.

Voilà un roman délicat et assurément plaisant à lire qui convoque des thèmes assez classiques autour du milieu artistique et de la cellule familiale qui peine à exister et qui ne trouve finalement de sens que lorsqu’elle vole en éclat. Ajoutez à cela une touche discrète empruntée aux romans d’apprentissage, donnant à Odile l’occasion de s’affirmer au-delà de cette mise à l’écart, cette vie en dehors du clan qui n’admet finalement personne d’autre que lui-même.

Il me semble que j’en ai presque fini de disparaître.

Face à ces pages que le lecteur découvre à travers les yeux de sa protagoniste, l’on se sent, à mon sens, un peu frustré, divisé entre ce qui est suggéré et ce qui aurait gagné à être plus travaillé, nourri… Il y a dans ce roman des lignes qui promettent un beau récit, mais qui n’atteignent que partiellement leur but en ne livrant qu’un texte trop rapidement lu, qui reste finalement de l’ordre de l’esquisse, à la lisière du crayonné. J’attendais peut-être un peu plus de cette œuvre dont le souvenir s’estompe(ra) vite, à l’image d’un tableau qui verrait rapidement disparaître ses couleurs puis ses contours.

Un roman sélectionné pour le Prix de la Librairie Saint-Pierre de Senlis.

L’Atelier – Sarah Manigne

Mercure de France

ISBN: 9782715247796

10€/112pages

Premier roman

23 Août 2018

Conseils lecture Art et littérature.

Rentrée littéraire Août Septembre 2018

16 réflexions au sujet de « L’Atelier – Sarah Manigne »

    1. J’ai légèrement peiné à ordonner mes souvenirs de lecture et mes impressions en rédigeant ma chronique. Le flou avait déjà fait son oeuvre. C’est dommage car la plume est loin d’être désagréable.

      J’aime

Laisser un commentaire