On ne dira pas ici, comment il est mort. Ce qui l’a tué. On écoutera, dans les odeurs de maquis, de marjolaine sauvage, la voix d’un homme qui, pour certains ou le reste du monde, n’en était pas un tout à fait.
Dès les premières pages, le village enterre un homme dans le silence et la solitude des malaises incurables. Antoine Orsini est mort emportant avec lui les secrets qui se murmuraient dans le maquis corse, son repaire de bête traquée. A cette époque, il était un peu le fou du roi, lâché en pâture, errant sans aucun maître. Alors imaginez bien que lorsque la jeune et belle Florence Biancarelli est retrouvée morte, dans de sordides circonstances, le village ne peut s’empêcher de faire de lui son bouc émissaire… A Julie Estève de faire parler les morts en choisissant pour narrateur ce baoul, ce marginal. Un véritable électron libre qui a pourtant longuement côtoyé les murs froids et les portes closes.
Les alcooliques, ils se saoulent pour que la vie soit plus rapide que l’ennui.
La plume rend compte avec justesse et férocité des pensées et du chaos qui agitent le personnage. Pas si évident pour le lecteur de se sentir entrer dans les méandres des réflexions de ce pas-si-simple-d’esprit, de cet homme au langage et au raisonnement torturés, paisible dans sa bulle. La langue de ce roman est à l’image de son héros. Malmenée, cinglante, gorgée de métaphores et d’assertions qui font mouche. Pensées et paroles vous chahutent: elles dérangent car elle nous donne l’impression d’être en lui, exposés passivement à ses pensées les plus noires ou sordides. Face à ce héros sensible et dérangeant, profondément paradoxal, nous demeurons, saisis, sur le qui-vive. A travers ce personnage qui nous invite à voir le monde à travers le sien, l’on devient le témoin méfiant et docile des horreurs silencieuses des hommes.
Les veuves et les mères qui ont des fils liquidés, elles ont jusqu’à la fin des larmes derrière les yeux.
Le roman de Julie Estève se lit avec en écho d’autres lectures percutantes. Il y a quelque chose des personnages écorchés de Guillaume Guéraud, le Tout Seul de Chabouté, le saisissant Des Fleurs pour Algernon. Il a la crudité et le phrasé de ce petit roman Baby Spot qui avait fait une rentrée discrète. Mais la parenté littéraire qui résonne le plus est celle que l’on décèle avec la nouvelle Journal d’un monstre de Matheson pour ce style, cette expressivité qui étonne dès les premiers chapitres. Sa force – à défaut d’être totalement novatrice dans sa narration – est de nous tenir en haleine, captifs jusqu’aux pages finales avec une constance impeccable du propos, sans jamais laisser faiblir sa plume ni le rythme du roman. Une très belle surprise que ce personnage puissant que ce récit met fabuleusement bien en lumière.
Moi, j’arrive pas à oublier les choses. J’ai une mémoire sans limite, y a rien qui s’efface à l’intérieur. Et plus j’avance en âge et plus tout s’empile, c’est bourré là-dedans.
Simple – Julie Estève
17€ 50 / 208 pages
ISBN: 9782234083240
Ah merci pour le rappel des fleurs pour Algernon ! que j’ai énormément aimé et qui a fait phosphorer ma matière grise. Je le case demain dans les livres qui m’ont marqués (sur FB). Et je note celui-ci bien sûr.
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C’est plus proche toutefois de Matheson mais l’esprit est là autour du langage et de ce qu’il provoque chez le lecteur et ce qu’il révèle du personnage.
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Je viens de lire l’avis enthousiaste de Leiloona. A vous deux, vous m’avez définitivement convaincu!
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Tu m’en vois ravie ! Bonne lecture !
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Quelle chronique réussie ! Chapeau !
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Merci ! Ce titre saura sans nul doute trouver ses lecteurs.
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Je ne l’ai pas encore lu, mais ça ne saurait tarder !
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Tu n’es pas la première à parler positivement de cette sortie! Je crois bien que ce personnage pourrait me toucher.
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en haut de ma liste d’envies, vraiment tentant!
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Il me faisait envie, mais là tu m’as carrément convaincue ! 😀
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Tu me diras ce que tu en as pensé ?
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Avec plaisir ! 🙂
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Guéraud, Chabouté… tu sais trouver les arguments qui font mouche, vilaine :p
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Il te plaira ce personnage!
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en lisant ton billet je me disais que ce n’était pas pour moi, et puis je vois que les commentaires sont très positifs, et c’est important les commentaires, alors j’ai relu ton billet mais non décidément je crois encore que ce n’est pas pour moi.
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Le flot de publications de la rentrée offrira bien d’autres choix.
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De belles références, il vaut peut-être tout ce que la presse et les lecteurs en disent.
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Elles m’ont accompagnée durant la lecture et j’ai aimé qu’Antoine fasse partie de cette famille de personnages-là.
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Elle a une vraie voix cette auteure…! Je la découvre avec ce roman et je suis conquise !
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A suivre de près…
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Un lecture qui me tente de plus en plus. Le personnage principal m’attire.
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Il est typique des figures romanesques qui marquent de leur empreinte les lignes qui lui donnent une voix.
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Pour toutes les références que tu sites, bien sûr que je le note !
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Il m’a l’air profondément poétique mais quand j’ai lu les citations que tu as mises j’ai l’impression que je vais un peu bloquer sur la plume. Certainement parce qu’elle mêle un caractère très enfantin et très adulte.
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