Elle nettoie, frotte, récure. La rigueur et l’abnégation sont au rendez-vous et elle arpente ainsi les rues de Senlis pour dépoussiérer l’intérieur des petits bourgeois qui préfèrent laisser d’autres mains se charger de ces tâches-là. Séraphine s’affaire méticuleusement, contre quelques pièces qu’elle changera en ripolin. Son repaire: une petite quincaillerie de quartier où toutes ses économies passent dans l’achat de toile et de peinture. Parce que lorsque le soir tombe, lorsque les menus travaux ont été patiemment accomplis, les petites mains s’offrent l’inestimable luxe de la créativité et de la minutie. Le pinceau peut glisser sur la toile, les couleurs peuvent réveiller la nuit. Séraphine peint et arrête le temps.
Séraphine s’évade de partout, de sa place de domestique, des conversations qu’elle a avec les gens, de la réalité quotidienne. Elle vit ailleurs, dans un monde bien à elle. Elle vit sa passion pour la peinture librement, sans faire de compromis, sans s’occuper de ce qui se fait ou ne se fait pas.
Elle vit, elle peint.
Séraphine vivait dans un monde de plumes et de feuilles, de fleurs et de fruits. De cette simplicité surgira le flamboyant, le solaire, l’incandescence. Impossible d’évoquer cette femme artiste si singulière, naïve et touchante, qui intrigue autant qu’elle étonne sans citer Wilhelm Uhde. Porté par ce mélange d’admiration et de fascination, il lie une amitié sincère avec cette femme moquée pour sa simplicité d’esprit et sa tendance à penser que les anges lui murmurent rumeurs et secrets. Un des rares à avoir su entrer dans sa bulle, gagné sa confiance et à avoir par amour pour l’Art su la révéler au monde.
Le jeu des couleurs que Séraphine met en place est la volonté de rassembler les morceaux de sa personne, elle rassemble les éléments de son malheur dans l’instant où elle peint. Lorsque la production artistique se tait, elle est envahie par la folie.
C’est cette histoire que nous raconte Françoise Cloarec, en nous invitant à fouler les pavés de Senlis sur les traces de cette artiste au talent fulgurant. Dans une France en guerre contre l’Allemagne, ce lien entre Wilhelm Uhde et Séraphine sera nécessairement ébranlé. La vie de Senlis et à Senlis ne sera plus la même pour eux. Quand l’un s’enfuit pour mieux revenir, l’autre reste faute d’ailleurs protecteur.
Celle qu’on aime voir comme une des figures de proue de l’Art primitif aura le destin sombre des artistes maudits. Les simples d’esprit sont de beaux amuseurs tant qu’ils n’effraient personne. L’asile et les portes closes attendent en silence que soit atteint le point de non-retour pour celle qui abandonnera progressivement ses pinceaux pour ces voix divines qui l’éloignent lentement de la réalité.
Un matin, la Sainte Vierge l’avertit d’une proche révolution et lui conseille de déménager tous ses objets à la gendarmerie. Elle s’exécute. Le monde s’écroule. Implose. […] Ce soir-là, les toiles ne font plus écran, ne comblent plus le vide, les couleurs se déchirent. Séraphine ne peut plus mettre en fleurs le chaos. Il est vingt heures. Elle brise tous les liens.
Cet essai coup de coeur à la plume si particulière est une très belle manière de découvrir cette artiste touchée par la grâce et la folie. L’approche est passionnante quand on sait que Françoise Cloarec a consacré sa thèse de psychologie à cette figure artistique longtemps oubliée des grands musées. La fin du livre sur les conditions de vie des aliénés, ces « gens de rien » est glaçante. (Écho édifiant à l’actuel combat mené par les personnels soignants de l’hôpital psychiatrique PINEL d’Amiens…)
Un texte qui – rappelons-le également – fut une des nombreuses sources d’inspiration et de travail pour le sublime film de Martin Provost qui offrira à cette femme la plus belle des incarnations à travers l’interprétation magistrale – césarisée – de Yolande Moreau.
Séraphine – La vie rêvée de Séraphine de Senlis
Françoise Cloarec
Éditions Libretto – Phébus
ISBN:978-2-7529-0598-7
175 pages / 8€60
J’avais adoré le film. Je note le livre. D’autant que la ville de Senlis m’intéresse car mon père y a vécu une partie de sa jeunesse, en pensionnat.
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J’aime beaucoup cette ville, ses librairies, son charme un peu bourgeois… Et cette artiste me fascine et me touche.
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J’avais vu le film lors de sa sortie et j’avais beaucoup aimé ….. et Yolande Moreau était parfaite dans le rôle de cette peintre peu connue….
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Je la trouve exceptionnelle. Elle était faite pour ce rôle. J’ai (rererere)revu ce film récemment et je l’aime toujours autant.
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J’avais adoré le film, tu me donnes envie de découvrir ce livre ! *.*
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Les deux se complètent à merveille !
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J’ai adoré le film et j’avais acheté le livre dans la foulée … mais toujours dans ma PAL. La polémique qui avait suivi m’avait un peu refroidie. J’étais allée voir également l’expo qui lui a été consacrée au musée Maillol. Etonnant.
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Je n’ai pas eu connaissance de cette polémique…
Quant à l’expo au musée Maillol j’aurais adoré la voir…
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C’est pour ça que j’aime lire des articles sur les blogs littéraires, grâce à jeux je découvre des perles que je n’aurai jamais pu découvrir autrement.
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C’est toujours bien de trainer encore sur les blogs qui sont parfois quelque peu délaissés pour d’autres média…
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j’ai beaucoup aimé ce film , et aussi l’exposition qui lui était consacrée
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Le film est merveilleux. Je ne me lasse pas de le regarder et je pense toujours à cette femme quand je me balade du côté de Senlis.
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Une artiste dont on ne se lasse pas. Et c’est tant mieux.
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Elle gagne à ce qu’on parle d’elle, elle qui est restée si longtemps dans l’ombre…
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Depleschin a aussi sorti un bouquin jeunesse. Une histoire qui se lit comme un conte. Réussi aussi. 🙂
(Et le film … punaise. J’en garde un joli souvenir.)
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Je vois de quoi tu parles, il m’attend sur ma PAL. Mais cela avait un lien avec cette artiste?
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Nan, du tout 😛 … Mais tu as cette même immersion dans l’univers pictural (le roman jeunesse se déroule durant la Commune, à Montmartre.)
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Ce film… (un souvenir tellement beau!). Ta chronique me donne envie de me plonger dans les mots de cette auteure.
(Connais-tu le film Maudie, nom du personnage incarné par Sally Hawkins? C’est l’histoire vraie d’une peintre femme de ménage au destin surprenant. Je t’encourage à le découvrir 🙂 )
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Je reste aussi très marquée par le film et par la prestation de Yolande Moreau
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