Vous me dégoûtez tous avec votre bonheur ! Avec votre vie qu’il faut aimer coûte que coûte. On dirait des chiens qui lèchent tout ce qu’ils trouvent. Et cette petite chance pour tous les jours, si on n’est pas trop exigeant. Moi, je veux tout, tout de suite, – et que ce soit entier- ou alors je refuse ! Je ne veux pas être modeste, moi, et me contenter d’un petit morceau si j’ai été bien sage. Je veux être sûre de tout aujourd’hui et que cela soit aussi beau que quand j’étais petite –ou mourir.
Polynice et Étéocle se sont affrontés pour prendre le pouvoir. L’issue fatale pour les deux frères conduit Créon à offrir à l’un de fastueux hommages funèbres, laissant à l’autre le sol caillouteux et le ciel plein de charognards. Antigone ne supporte pas l’injustice du pouvoir et malgré l’interdiction de ne pas approcher le corps du défunt condamné à pourrir sous les yeux de tous, elle profite de la nuit pour jeter ce qu’il faut de terre sur le corps de son frère.
C’est bon pour les hommes de croire aux idées et de mourir pour elles.
Antigone a donc désobéi. Elle a commis l’irréparable aux yeux de la loi de Thèbes. Elle a bafoué son oncle, n’ayant que faire de l’interdiction royale. Fille d’Œdipe le maudit, elle n’échappera pas au sort tragique de la famille des labdacides, héritant de sa force de caractère jusqu’au-boutiste. Consciente de son crime de lèse-majesté, elle se présente à son oncle et lui annonce qu’elle est prête à mourir. Promise au trône – puisqu’elle doit épouser Hémon, le fils de Créon – elle met, par ce geste provocateur, le Roi de Thèbes dans un embarras sans précédent. Nous voilà plongés au coeur même du dilemme théâtral.
Oui, j’aime Hémon. J’aime un Hémon dur et jeune ; un Hémon exigeant et fidèle, comme moi. Mais si votre vie, votre bonheur doivent passer sur lui avec leur usure, si Hémon ne doit plus pâlir quand je pâlis, s’il ne doit plus me croire morte quand je suis en retard de cinq minutes, s’il ne doit plus se sentir seul au monde et me détester quand je ris sans qu’il sache pourquoi, s’il doit devenir près de moi le monsieur Hémon, s’il doit apprendre à dire « oui » lui aussi, alors je n’aime plus Hémon !
Après un sublime prologue qui porte en lui toute l’essence tragique de l’histoire , la pièce peut commencer. Dans un dialogue aussi passionné que passionnant, Jean Anouilh reprend le personnage mythique de Sophocle et lui donne une dimension flamboyante, faisant de l’incandescente Antigone, un des plus beaux personnages littéraires qui soit. Éternelle adolescente, fascinante révoltée, elle incarne à jamais celle qui refuse de se soumettre et qui clame avec la ferveur inconditionnelle des condamnés l’importance de défendre les combats qui nous tiennent à cœur avec une infaillible abnégation. Excessive, grandiose, foudroyante. Antigone accepte la mort en renonçant à l’amour fade, aux complaisances, aux faux-semblants. Qu’importe le fait qu’elle ait tort ou raison, qu’importe si son jeune âge la dispense de recul sur le monde. Elle est celle qui dit non. Définitivement. Pour elle, et pour tous les autres. Un non au monde, aux adultes, aux compromis, au pouvoir, aux faiblesses, à l’arbitraire. Et l’on sait ce que cela implique et sous-entend lorsqu’une pièce comme celle-ci est jouée pour la première fois en 1944.
C’est très joli, la vie. Mais cela a un inconvénient, c’est qu’il faut la vivre.
Il y a dans chacune de mes nombreuses lectures d’Antigone, le souvenir d’une collégienne qui découvre la littérature, celui d’une adolescente qui prend de plein fouet toute la beauté et la grandeur du personnage, celui d’une femme qui déteste choisir fascinée par une héroïne forte de ses choix, celui d’une jeune professeure qui met pour la première fois, un peu fébrile, ce texte qu’elle aime tant entre les mains de ses élèves, celui d’une un peu moins jeune enseignante, qui confie plus sereinement ce titre en espérant toujours que les mots et la littérature poursuivront leur chemin en touchant ceux qui sauront leur prêter un œil ou une oreille attentive.
Quel sera-t-il, mon bonheur ? Quelle femme heureuse deviendra-t-elle, la petite Antigone ? Quelles pauvretés faudra-t-il qu’elle fasse elle aussi, jour par jour, pour arracher avec ses dents son petit lambeau de bonheur ? Dites, à qui devra-t-elle mentir, à qui sourire, à qui se vendre ? Qui devra-t-elle laisser mourir en détournant le regard?
Un livre à lire parce qu’indispensable, incontournable et magistral. (Oui, rien que ça.)
Antigone – Jean Anouilh
Collection – La Petite vermillon.
ISBN:9782710381419
5€60 / 128 pages
Les Classiques c’est fantastique.
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Ma résolution livresque étant de lire (au moins) 12 classiques dans l’année, voilà le récapitulatif de mes lectures, mois après mois… (Pour le moment, je respecte étonnamment mon carnet de route…)
◊ Janvier: La Machine infernale – Jean Cocteau. / Une nuit avec Verlaine – Sophus Claussen
◊ Février: Le Joueur d’échecs– Stefan Zweig
◊ Mars : Le Joueur d’échecs– Zweig par David Sala / Le Jeu de l’amour et du hasard – Marivaux
◊ Avril : Deux ans de vacances Adaptation BD du roman de Jules Verne par Brrémaud, Chanoinat & Hamo. / L’Enfant et la rivière Henri Bosco
◊ Mai : L’Enfant et la rivière Bosco et Xavier Coste
◊ Juin : Pilote de Guerre Saint-Exupéry
◊ Juillet : Antigone – Jean Anouilh
C’est la deuxième critique que je lis d’Antigone et elles me donnent toutes deux envie de relire cette pièce, de me plonger dans les pages, dans les discours qui transmettent une force de résilience exceptionnelle.
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je connais peu de jeunes filles qui n’ont pas été très sensibles à ce texte. Bravo Monsieur Anouilh (et ton billet rend très bien compte de ce petit chef d’oeuvre!)
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A lire et à relire, un indispensable!
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Je ne compte plus mes relectures !
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Et n’arrête jamais de le proposer à tes élèves. Ce texte est une perle.
J’ai eu un tel choc quand je l’ai lu en tant qu’ado. Et depuis… c’est le même éclat, la même vibration.
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Lu et relu à de multiples reprises. Tu parles à mon coeur là, bien sûr !! J’ai une petite préférence pour la première version acquise en seconde, orange/rouge. Ensuite j’ai lu presque tout Anouilh. Je crois que je possède d’ailleurs une belle collection de ses autres pièces où il est plus sarcastique et drôle.
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Je savais qu’avec un titre pareil, j’allais nécessairement faire mouche avec toi. En revanche, je n’ai lu qu’Antigone et Médée d’Anouilh. J’ai peur d’être moins réceptive à sa drôlerie… Tu me conseillerais quoi dans cette veine?
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Mes lectures datent un peu mais j’avais beaucoup aimé les poissons rouges.
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Je note…. Et quand l’occasion se présentera…
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Pas lu encore… Un indispensable alors… je note!
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Oh oui! Il ne faut vraiment pas passer à côté de ce titre (et de Médée, of course!)
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Merveilleux texte à lire et à relire sans modération
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Inlassablement !
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La première lecture de cette pièce (au lycée) m’avait émue à tel point que je l’ai classé en première place d’un top 100 récemment élaboré… à sa relecture, j’ai émis quelques bémols (notamment une grandiloquence pas toujours à propos) mais l’empreinte que m’a laissé sa découverte fait qu’il occupe malgré tout une place particulière dans mon « panthéon » littéraire !
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Ah ce Top 100… Il faudrait que je m’y mette…
J’entends ce que tu dis sur la grandiloquence. L’esprit « tragique » engendre aussi ces envolées-là. Et quand tu parles d’empreinte, c’est exactement ça. Une marque. Indélébile.
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J’aime follement cette pièce, je l’ai réétudiée cette année. Ce qui me fascine, c’est la pluralité des lectures possibles… et avec le temps, je me sens tout de même plus proche de Créon…
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C’est un petit diamant brut. Et c’est marrant ce que tu dis sur Créon. J’y ai pensé aussi. En me demandant quand viendrait le moment où je me « rapprocherai » de lui…
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Un livre à lire et relire à tous les âges.
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Oui, chaque âge y trouvera ce qu’il a à prendre des mots d’Anouilh…
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ça fait des années que je fais cette pièce en 3è et je dois avouer, ô stupeur, qu’elle fait mouche à tous les coups, il y a quelque chose qui se passe de très puissant. Et pour les filles, peut-être un peu plus, oui…
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Comme il est bon de pouvoir compter sur ces valeurs sûres qui arrivent à les toucher de cette manière!
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Ha comme je l’aime cette Antigone… mais, et parce que c’est avec lui que je l’ai découverte, ma préférence va toujours à celle de Sophocle.
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(Que je n’ai pas encore lue…)
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