Et mon coeur fait boum·L'Art du Roman

Le Roi n’a pas sommeil – Cécile Coulon

Bientôt, l’histoire de Thomas devint une légende du bourg: un mauvais souvenir qui faisait peur aux gosses et alimentait les conversations de comptoir.

Comme elle est douce l’enfance dans ce village de l’Amérique profonde. Comme elle est calme et paisible la vie quand elle se contente et se satisfait de l’insouciance. Même la mort du père de Thomas ne semble être qu’un léger accroc dans un quotidien bien huilé. L’époux – de moins en moins aimé – n’est plus. Les liens qui unissent la mère et le fils n’en sont que renforcés.

A l’âge où les cœurs s’emballent et palpitent, à l’heure des premières fois, Thomas reste en retrait de l’effervescence des premières amours, préférant son histoire d’amitié avec Paul. Et puis tout bascule. D’autres visages s’invitent dans la danse et les liens s’étiolent: l’ami s’éloigne pour d’autres passions moins recommandables et Thomas tire un trait définitif sur celui qui aurait pu être le plus fidèle des compagnons de route. Thomas Hogan avait tout pour réussir mais quelque chose de plus fort que lui, niché au fond de ses entrailles, en a décidé autrement. Et c’est peut-être pour cette raison que sa descente aux enfers n’en est que plus coriace et grinçante.

Thomas ressemblait toujours au gosse qui refusait de jouer sur le tas de bois avec ses cousins, simplement, à la place des yeux, il avait deux trous noirs qui saignaient quand l’émotion montait trop vite.

Les romans de Cécile Coulon accordent une importance d’envergure aux lieux dans lesquels évoluent les personnages. Pleinement acteurs des histoires qu’elle nous compte, ils agissent sur les hommes, façonnent tragiquement leur destin et les dévorent. Le village sait tout, voit tout. Il entend ce qui se pense tout bas, il met en lumière ce qu’on voudrait laisser dans l’ombre des forêts. Sous une plume affûtée et un regard sensible aux singularités des êtres, Cécile Coulon grave dans le bois un roman sombre aux relents d’Amérique rurale. Presque personne n’est épargné. Les innocents comme la vermine. Et l’on se délecte, conscient de ce plaisir coupable, de voir ce triste monde s’agiter pour mieux se perdre.

Ils n’étaient pas heureux. Ils voulaient juste avoir le temps de s’ennuyer, de regarder les plants de salade cuire au soleil sans devoir se lever pour aller les arroser. Petit à petit, ils s’éteignaient, semblables à des bougies dont la cire se consume.

Un roman à l’odeur de whisky subtilement mélangée à celle de la poussière des copeaux de bois. Celle qui trouble la vue, qui permet de se dérober face à la honte. Un roman où les tissus des vieux costumes deviennent les manteaux des fantômes, une histoire obscure où les héros n’ont rien de grand, empêtrés dans leurs pensées lourdes comme des enclumes.

Le patron lui trouvait des airs de faux jeton, de ceux qui planquent des secrets au plus profond d’eux-mêmes, si bien qu’ils finissent par remonter tout seuls à la surface.

Un roman à lire parce qu’il faut lire tous les Cécile Coulon. (Degré zéro de l’argumentation, j’en conviens.)

Cécile Coulon au milieu des livres: Trois Saisons d’orage / Le Coeur du Pélican.

Le Roi n’a pas sommeil – Cécile Coulon

Éditions Points / Viviane Hamy

ISBN: 9782757830222

6€20 / 168 pages

Ma sélection estivale

 

15 réflexions au sujet de « Le Roi n’a pas sommeil – Cécile Coulon »

  1. J’ai découvert Cécile Coulon par ce roman, adoré bien sûr. Je viens de lire Trois saisons d’orage, encore plus aimé je pense, pour cette capacité comme tu le dis si bien, de décrire ces lieux qui agissent sur les hommes. Je vais m’en mettre un sous le coude pour les vacances je pense, lequel me conseillerais-tu ensuite ? 😉

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  2. Degré zéro de l’argumentation… et pourtant ! 😉
    Je suis Cécile Coulon sur sa page FB et j’apprécie ses interventions, à la fois drôles et toujours subtiles (même si parfois salées!). Sans pouvoir me l’expliquer, je n’ai encore jamais osé sauter le pas et me plonger dans un des ses romans. Ce que tu dis de celui-ci pourrait être une bonne entrée ne matière…

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  3. Si c’est ça le degré zéro de l’argumentation … 😉 Ce qui compte, c’est ta réussite dans la transmission honnête de ton ressenti. Et là, c’est un succès !
    Ça fait un moment que j’ai envie de découvrir Cécile Coulon en tout cas.

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