Et mon coeur fait boum·L'Art du Roman·Lire l'ailleurs.

Villa Taylor – Jamil Rahmani et Michel Canesi

Une odeur de vieux meubles, de vieux tissus imprègne l’air. Ce lieu a le charme d’un passé qui s’éteint.

On pourrait dire de Diane en la croisant, sans trop d’hésitation, qu’elle a réussi sa vie. Femme de pouvoir, femme d’influence, femme de caractère, elle est un modèle d’indépendance et de charisme qui impose le respect et l’admiration. Sa situation professionnelle est à son apogée, maigre consolation pour celle dont la vie personnelle peine à suivre le même chemin.

C’est étrange… Vous vivez près des gens, vous pensez les connaître, vous croyez qu’ils vous aiment et puis, un soir, un matin, ils s’en vont pour toujours, sans raison… Tous ces hommes, toutes ces femmes qui ont déserté ma vie. […] Et la vieille se met à pleurer. Un vrai chagrin de femme délaissée.

Lorsqu’elle apprend la mort de sa grand-mère, elle joue le rôle qu’on attend d’elle. Un avion, un passage éclair au Maroc et un rendez-vous chez le notaire pour régler les détails de la succession. Un imprévu la contraint alors à rester quelques jours de plus sur cette terre qu’elle n’a pas foulé depuis son enfance. La voilà l’héritière d’une propriété majestueuse et la question de la vente se pose. Mais est-elle prête à céder cette part de passé et de vie au plus offrant, d’autant plus quand elle découvrira que cet endroit renferme bien des secrets de famille et des énigmes à élucider.

Quiconque pénètre dans ses jardins est pris au piège. A l’instar du paradis ou de l’enfer, toute intrusion est définitive, la lourde porte berbère ne laisse échapper personne.

Un matin, j’ai poussé la porte de la Villa Taylor. J’ai suivi les odeurs entêtantes de menthe fraîche , j’ai marché sur les pavés colorés sans me préoccuper des fissures et des recoins abîmés, j’ai été le témoin d’une quête douloureuse mais nécessaire: celle d’une mère dont la disparition soudaine a été étouffée dans le silence de la grand-mère défunte. J’ai attendu, retenu mon souffle devant chaque enveloppe, derrière chaque porte, devant chaque écrin qui dissimulait les indices pour lever le voile sur les zones floues d’un passé endormi. Qu’on se le dise, ce roman a le pouvoir de vous rendre captif de ses héros et de cette atmosphère moite et poussiéreuse. Un texte saisissant porté par une héroïne qui affronte – en plus de ses démons – une société ancrée dans ses codes et ses lois, confrontée à un choc culturel qui réveille en elle une force incandescente.

Cet homme est un poison, il coule dans mes veines comme une lave. Plus je le vois, plus il m’attire, plus je le crains comme une promesse de malheur.

Au cœur de ce roman, des femmes: fantômes, absentes, amoureuses, taiseuses, secrètes, séniles, perdues, obstinées. Autant de silhouettes et de personnages secondaires qui étoffent l’intrigue à travers des portraits vraiment joliment dépeints. Ancrées dans leurs douleurs, prisonnières de leurs silences, elles feront chacune à leur manière progresser l’héroïne dans sa quête en libérant lentement leur parole. Les mots, les images, les voix, les souvenirs comme des clés qui lèvent le voile sur ce qui a tant été tu. Quelques hommes tantôt fades, tantôt foudroyants, parfois insaisissables s’invitent assurément dans la danse pour ajouter ce qu’il faut de complexité au parcours de Diane… Quel beau personnage que celui du jardinier aveugle Hassan, sorte de Tirésisas marocain d’une sagesse étourdissante et d’une puissance romanesque implacable.

Nous avons tellement aimé cet homme, disait-elle, que nos larmes ont pris son parfum.

Un matin, j’ai poussé la porte de la Villa Taylor. Le lendemain, je refermais le livre avec la sensation d’avoir percé quelques uns de ses mystères endormis et d’être revenue d’un voyage inattendu et troublant.

Un livre à lire pour s’offrir une parenthèse vers l’ailleurs.

Villa Taylor – Jamil Rahmani et Michel Canesi

Édition Le Livre de Poche

408 pages / 7€90

Février 2018

ISBN: 978-2253073482

17 réflexions au sujet de « Villa Taylor – Jamil Rahmani et Michel Canesi »

  1. J’avais noté il y a longtemps Alger sans Mozart, de ces auteurs, mais il est malheureusement introuvable en librairie et à un prix rédhibitoire sur les différents sites d’achat en ligne !! Du coup, je lirai peut-peut-être celui-là …

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  2. Pas trop mon truc ça. Et la couv fait vraiment penser à livre de poche des années 80, non ?
    (bon, il faut pas trop que je la ramène sur les couv, ça m’a déjà valu quelques soucis ici même^^)

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