Et mon coeur fait boum·L'Art du récit

Les Amandiers – Thierry Hentsch

 A quoi ressemblent les cendres d’un cadavre de toute façon? Duvet ou poussière, il n’est pas donné à tous d’avoir l’au-delà léger: il pleuvait, je crains, sur le petit tas gris à peine jeté.

A travers un court récit d’une beauté bouleversante, Thierry Hentsch évoque la perte d’un père qui de l’être de chair devient souvenir, devient absence. Sous le portrait de l’homme qu’il aimait avec pudeur et distance naît une réflexion philosophique limpide et puissante sur la mort et ce que sa conscientisation apporte à nos vies. Les mots vous saisissent sans attendre et la concision du propos fait de ce court texte un récit riche d’une émotion singulière, d’une résonance universelle.

Ruse du chagrin, ruse de la vie pour masquer l’évidence: ce qui subsiste en moi de mon père ne doit rien à sa mort. La mort fait seulement contraste: on lui laisse volontiers les ombres, les grises mines pour ne garder que la lumière, le sourire. Façon d’apprivoiser l’absence tandis que les reproches, la colère, la honte vous suivent en secret.

Peu de mots sont nécessaires pour parler de ce texte d’une justesse insolente. Il faut le lire, le relire, le digérer, le laisser vous dévoiler sa musique, sa sagesse, son phrasé. Laisser cheminer en vous les pensées et les mots. Les Amandiers est un livre qui vous raconte vos disparus comme vous auriez aimé pouvoir parler d’eux, un livre qui les rend éternels sous la plume du souvenir. Un de ces titres qui se lit d’un souffle, dont vous coupez chaque page avec la lame d’un couteau – comme l’étudiante que j’étais l’a fait pour essayer de lire Gracq – histoire de laisser le temps de lire faire son œuvre. Un petit bijou éditorial et littéraire à mettre entre toutes les mains.

La mort passe par la chair et jusqu’à la dernière seconde je ne serai sûr de rien ni de moi-même – de moi-même moins que tout. Je sais seulement désormais que ce moment a commencé dès ma naissance. Je sais la fragilité et je sais l’oubli qui la menace. Et quand on sait la fleur de l’amandier, l’oubli est impardonnable.

Un récit à lire avec le printemps.

Les Amandiers – Thierry Hentsch

Caplan & Co éditeurs

11 € / 34 pages

2002

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