Coup de théâtre !·Les classiques c'est fantastique

Le Jeu de l’amour et du hasard – Marivaux

SILVIA: Les hommes ne se contrefont-ils pas, surtout quand ils ont de l’esprit? N’en ai-je pas vu moi qui paraissent avec leurs amis les meilleurs gens du monde? C’est la beauté, la douceur, l’enjouement même, il n’y a pas jusqu’à leur physionomie qui ne soit garante de toutes les bonnes qualités qu’on leur trouve […] Oui, fiez-vous y à cette physionomie si douce, si prévenante, qui disparaît un quart d’heure après pour laisser place à un visage sombre, brutal, farouche, qui devient l’effroi de toute une maison.

Dès la scène d’exposition, le ton est donné. Au détour d’une conversation loin d’être anodine, Silvia confie à sa domestique Lisette sa vision cinglante et désabusée des hommes et du mariage. Avançant l’argument du masque des nobles intentions qui dissimule les manipulateurs, les violents, les perfides, elle ne semble pas prête à entrer dans le cadre de la famille faussement modèle, ayant trop peur des apparences trompeuses.

SILVIA Taisez-vous, allez répondre vos impertinences ailleurs et sachez que ce n’est pas à vous de juger mon cœur par le vôtre.

Face à elle, un père, Monsieur Orgon, qui lui annonce – quoi de plus classique en somme – que son futur époux ne tardera pas à la rejoindre pour faire sa connaissance. Toutefois, loin des personnages archétypaux de vieux bougon tyrannique, il promet à sa fille qu’elle demeurera libre d’épouser ou non son promis et qu’en aucun cas cette union ne lui sera imposée. Allégée des conventions sociales et de la pression familiale, Silvia veut malgré tout se protéger et pimenter à sa manière cette rencontre. Pour mieux pouvoir observer Dorante, elle demande à sa gouvernante, Lisette, de participer à ce jeu de dupe et d’échanger leur nom et leur condition. Ce qu’elle ignore alors, c’est que Dorante a fait de même avec son valet peu subtil.

DORANTE: Je hais la maîtresse dont je devais être l’époux, et j’aime la suivante qui ne devait trouver en moi qu’un nouveau maître.

La rencontre de ce quatuor amoureux ne manque pas de piquant et d’humour. Si l’illusion et le mensonge s’invitent dans la partie, il n’en demeure pas moins qu’il est difficile de masquer sans fard sa véritable condition. Les domestiques devenus maîtres se plaisent et portent en eux une puissance comique délicieuse tandis que Dorante et Silvia se cherchent et offrent aux lecteurs-spectateurs de savoureuses joutes verbales. Sous une plume friande de litotes et d’euphémismes, la naissance de l’amour se cristallise sous un jeu de regards, de répartie percutante et de rougeurs sur le visage et le marivaudage n’en est que plus délicat en s’offrant le spectateur pour complice. Couples, conventions sociales, quiproquo, déguisements et dissimulations: sans nul doute, nous tournons les pages d’une pièce dont l’auteur maîtrise chaque rouage, chaque enjeu. Le dramaturge qu’est Marivaux réussit à insuffler une modernité incontestable à son texte à travers cette liberté de ton et cette fausse légèreté dont on se délecte à chaque page. La séduction opère au-delà des pages et des planches et le rire sera assurément le grand gagnant de ce badinage amoureux.

Pièce actuellement jouée au théâtre de la Porte Saint Martin à Paris. Avec Laure Calamy, Vincent Dedienne, Clotilde Hesme, Nicolas Maury, Alain Pralon et Cyrille Thouvenin. L’avez-vous vue?

Le Jeu de l’amour et du hasard – Marivaux

Multiples éditions/collections disponibles

Les classiques c’est fantastique !

Ma résolution livresque étant de lire (au moins) 12 classiques dans l’année, voilà le récapitulatif de mes lectures, mois après mois… (Pour le moment, je respecte étonnamment mon carnet de route…)

Janvier:

La Machine infernale – Jean Cocteau. / Une nuit avec Verlaine – Sophus Claussen

Février:

Le Joueur d’échecs– Stefan Zweig

Mars :

Le Joueur d’échecs– Zweig par David Sala  /  Le Jeu de l’amour et du hasardMarivaux

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12 réflexions au sujet de « Le Jeu de l’amour et du hasard – Marivaux »

  1. Je l’ava dévoré à l’adolescence mais je n’en garde malheureusement aucun souvenir. Je devrais prendre la même résolution que toi mais j’a du mal à résister à l’attrait du contemporain.

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  2. Je voulais vraiment voir l’adaptation avec Vincent Dedienne et Laure Calamy avant de quitter Paris : raté ! Malheureusement ça va être compliqué maintenant que je suis en Bretagne.
    En tout cas, tu me donnes envie de relire la pièce (une vieille lecture dont je n’ai plus guère de souvenirs…)

    Aimé par 1 personne

  3. Je n’ai pas lu cette pièce, comme tant d’autres d’ailleurs, car je suis peu friande de lectures théâtrales, MAIS j’irais la voir avec plaisir par contre, car j’adore aller au théâtre. Elle doit faire passer un sacré bon moment. C’est dans ces brefs moments que je regrette un peu la grande ville qui m’offrait souvent de telles opportunités.

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