L'Art du Roman·Polars et Romans noirs

Grossir le ciel – Franck Bouysse

A croire qu’une famille au complet, c’est un projet hors d’atteinte dans ce coin-là du paradis. La solitude est un point commun à beaucoup d’hommes et de femmes, comme si la mort s’invitait à tous les mariages.

Gus a grandi dans une ferme qui n’avait rien d’un havre de paix. Perdue au cœur des Cévennes, elle a été le théâtre d’une violence aux multiples visages: coups durs, gestes de trop, mots traumatisants, enfance bafouée. Dans ce lieu hors du temps coupé du monde , les corps se heurtent bestialement, se violentent ou se pendent aux poutres de bois plus solides que les épaules trop lourdes. Désormais seul maître du domaine parental, Gus occupe les lieux et vit avec ses bêtes humainement bien plus fiables que les hommes.

Les morts, on a l’habitude de leur pardonner bien des choses, même des choses qu’on ne devrait pas.

Abel, un voisin peu avenant connaît bien le coin puisqu’il y a pris racine tout en faisant le choix de la solitude. Condamnés à un quotidien dicté par les exigences de la terre et des troupeaux, les deux hommes se côtoient de temps à autre, trouvant un terrain d’entente autour d’une bouteille qui assomme ou délie les langues.

Un jour, un cri étrange surgit dans ce monde de silence et de solitude. Ajoutez à cela du sang sur le sol et une sensation constante d’être épié par quelqu’un. Cela suffit amplement pour que l’entente courtoise et fragile devient méfiance cordiale. Les rancœurs du passé fragilement étouffées refont surface et la sereine routine n’est plus…

On se renseigne avant de mettre les pieds quelque part et ce n’est visiblement pas ce qu’avait fait le suceur de bible.

Cela a commencé par une question anodine qui invitait les lecteurs de polars à me conseiller des titres marquants pour enfin me lancer… (Difficile de choisir, moi qui me sens très frileuse face à ce genre que je méconnais pourtant totalement.) Le roman de Franck Bouysse a semble-t-il convaincu bien des lecteurs. En tant que novice, j’avoue m’être lancée poussée par l’enthousiasme général.

Grossir le ciel est un roman. Un roman noir, sombre et parfois sordide. J’ai – à ma grande surprise – été immédiatement saisie par une plume maîtrisant à merveille à l’art de la description percutante, du portrait incisif, des analepses saisissantes. Usant de métaphores et de comparaisons mordantes, Franck Bouysse crée une atmosphère unique et sait vous enrober de cette ambiance avec un certain talent. Et c’est qu’il en faut du talent pour vous faire tourner les pages d’une histoire où le suspense disparaît au profit d’une tension latente, d’un fossé qui se creuse entre deux hommes sans qu’il ne se passe réellement quoi que ce soit de renversant, de sanglant.

Pour une première expérience avec le « polar », je ressors d’une lecture captivante qui ne correspondait en rien à ce que j’attendais du point de vue formel. J’ai beaucoup aimé les personnages d’une grande force romanesque, mais regrette peut-être un peu – quitte à faire la fine bouche – la fin un peu plus prévisible que surprenante. L’enjeu de ce roman policier sans enquête (je peine à employer ce terme pour un tel titre à vrai dire) est ailleurs à mon sens… Un texte brillant plus par son ambiguïté psychologique que par son action même, capable de saisir l’âpreté et la sensibilité d’un monde rural sans sombrer dans la caricature… Un auteur que je relirai, sans la moindre hésitation.

Une lecture que je partage avec ma Nouk.

Les billets de Jérôme-Chou, Aifelle, HélèneMarie-Claude

Grossir le ciel – Franck Bouysse

Livre de poche – LGF  – Policier

240 pages – 6€90

ISBN: 978-2253164180

Prix SNCF du Polar 2017

 

34 réflexions au sujet de « Grossir le ciel – Franck Bouysse »

  1. J’avais lu son deuxième livre dont je ne me souviens plus du titre TT Par contre, il m’en reste une impression de talent sublime par une plume corrosive. J’ai été un peu chamboulée bien que j’aurai préféré quelque chose de plus simple quelques fois pour mieux comprendre la finalité d’une telle histoire.

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  2. J’avais été bluffée, comme toi, par le style et la puissance de cette histoire. C’est vrai qu’en se rapprochant de la fin, on devine certaines pistes, mais cela n’enlève rien à l’aspect rugueux et pourtant profondément humain de ce roman.

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