BD de la semaine·Neuvième art

Paroles d’honneur – Leïla Slimani & Laetitia Coryn

Dès qu’on veut vous dominer on vous assène cette phrase : c’est le Coran qui le dit.

C’est en sirotant un verre et en fumant une cigarette – gestuelle loin d’être anodine pour deux femmes au Maroc – que naît la rencontre entre Nour et Leïla Slimani. Dans le jardin de l’ogre vient d’être publié et ce roman sur l’addiction sexuelle fait inévitablement parler de lui dans un pays où cette question devient vite appartient aux grands tabous sociétaux.

Et pourtant, très vite les langues se délient, facilitant l’épanchement et l’introspection. Nour se livre sans pudeur et en toute franchise à Leïla Slimani. Naît alors un essai, puis un roman graphique, retraçant cette rencontre et ces rendez-vous où la parole libère, dénonce, déplore, espère.

Tout ça, me dit-elle, ça ne sert pas la cause de l’islam. Ça ne sert qu’une seule cause: celle des hommes.

Voilà un album édifiant qui soulève des questionnements profonds et difficiles à aborder dans un pays où la tradition, la religion et la loi des hommes réduit considérablement la place à accorder à la parole des femmes.

Bien des anecdotes glaçantes viennent poser des mots sur ces silences contraints, aussi pesants qu’étouffants qui ne demandent qu’à être brisés pour mieux libérer les âmes, pour accepter la libération des corps. Certaines cases, mettant en avant des lois liberticides sont aussi choquantes que significatives et nous rappellent combien les droits des femmes sont encore entravés par des politiques court-circuitées par la religion et engoncées dans une vision archaïque de l’humanité.

Dans cet album, Leïla Slimani laisse toutefois toutes les voix s’exprimer. Celles des femmes libérées qui sont montrées du doigt par une société qui évolue lentement quand elle ne recule pas, celles des hommes qui ne voient qu’en la femme une vierge à épouser ou une putain à forniquer, celles des hommes modérés mais encore embourbés dans des principes moraux dont il est difficile de se départir, celles des ouverts d’esprits, des progressistes, des militantes, celles des mortes, des suicidées, des exclues, des découragées, des inquiètes.

C’est une approche  intelligente et délicate, menée avec talent et simplicité sans sombrer dans l’écueil du trop didactique, qui naît ici sous le crayon sans prétention de Laetitia Coryn. Le travail de la couleur nous plonge dans un Maroc rayonnant mais qui sait aussi se montrer cruel et sombre sous le vernis chaleureux de l’imaginaire touristique. Une belle manière de sensibiliser via le 9e Art dans un esprit quasi journalistique qui pourrait faire écho à l’excellent travail mené notamment par La Revue dessinée.

Il reste à inventer la femme qui ne serait à personne, qui n’aurait à répondre de ses actes qu’en tant que citoyen lambda et pas en fonction de son sexe. La femme qui pourrait s’affranchir de la qa’ida, c’est-à-dire de la norme, de la coutume admise par tous.

Ma chronique de Chanson douce, Prix Goncourt 2016.

Les billets de Sab / L’Étagère imaginaire / Jérôme-Chou / Mes échappées livresques.

Chez Noukette

Paroles d’honneur – Leïla Slimani & Laetitia Coryn

Adaptation de l’essai de Leïla Slimani,

Sexe et Mensonges, La Vie sexuelle au Maroc

Les Arènes BD

Septembre 2017

110 pages / 20€

ISBN: 9782352046547

50 réflexions au sujet de « Paroles d’honneur – Leïla Slimani & Laetitia Coryn »

  1. Merci Mokamilla de mettre cette BD en avant, elle le mérite bien, au moins pour deux raisons : la première, l’urgence à parler du sujet dont elle traite ; la deuxième : c’est si rare qu’une écrivaine de grand talent, comme la goncourtisée Slimani, s’aventure dans le genre « vulgaire » de la bande-dessinée !

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    1. Je suis totalement avec toi même si je n’ai lu de Leïla Slimani que Chanson douce… Je dois découvrir Dans le jardin de l’ogre…
      En tant que grande lectrice de BD, je ne fais pas partie de ceux (bien au contraire) qui relègue la BD au second plan. Ce genre regorge de pépites et de merveilles qui n’ont rien à envier à la littérature.

      Aimé par 2 personnes

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