Il pleure pendant des heures comme pour distraire la douleur.
Une averse passagère et des gouttes qui tombent pourtant par milliers. Et dans les yeux du père, bien plus qu’une petite larme grise puisque d’autres liquides bien plus coriaces tentent vainement de se substituer à l’effusion lacrymale. C’est qu’il étouffe, c’est qu’il se noie le pauvre homme, avachi sur son piano, perdu, submergé par la nostalgie d’un passé révolu qu’il ne pourra jamais retrouver. L’alcool illusoire masque sa solitude et le vin assommant lui a offert un manteau d’ivresse. C’est son seul remède à l’oubli, son pansement contre l’ennui.
Derrière la porte, Louis comprend bien ce qui se joue. Il attend, patiemment mais usé, le retour des jours meilleurs. Réduit à une vie en alternance, il a fait sienne cette mobilité affective et monte dans le bus qui le conduit jusqu’à l’absente, celle qui n’est plus dans le quotidien de l’époux délaissé.
Parfois, mon père s’invente des faux souvenirs quand il a fait le tour des vrais.
Pour adoucir le gris, il y a Boris. Et comme il est bon de murmurer des secrets à l’oreille d’un ami. Le secret de Louis s’appelle Billie: une beauté peu loquace qui s’est trouvée dans les livres, à défaut de se trouver dans le regard d’un autre. Mais dans les yeux de Louis, ça pétille, ça brille. Et dans son cœur, ça palpite, ça bat, ça s’affole.
Billie parle très peu. Je pense que c’est parce que les autres la déçoivent tellement qu’elle en perd l’usage de la parole. Quand elle parle, tout s’illumine, tout explose en grappes de miel et de feu. Billie ne fait pas des menaces. Elle fait des promesses.
Hélas, la trêve estivale approche et éloigne le jeune garçon de son unique désir. Le voyage est aussi beau qu’inattendu dans la ville qui ne dort jamais, la ville où tout semble possible, où l’on peut s’autoriser une dernière chance, où l’on peut s’imaginer heureux sur le Brooklyn Bridge. Mais malgré cette bouffée d’ailleurs, il faut aussi accepter que le prévisible refasse surface, que la réalité vienne supplanter les parenthèses fragiles.
Notre vie s’est transformée en magasin de porcelaine. Ne rien bouger, ne rien casser.
C’est un magnifique récit familial, amical et amoureux qui naît ici sous le trait charbonneux du crayon d’Isabelle Arsenault. Crayon qui charme sous de sublimes nuances grisées et qui sait aussi se gorger de pastel pour alléger délicatement les ombres: tantôt le bleu ciel poudré vient dévoiler les spectres, tantôt le jaune éclatant surgit pour ne jamais quitter vraiment la fille aux chignons compliqués… Le dessin est éblouissant et vient poser les contours des douleurs qui rongent et qu’on ne peut pas toujours nommer. Dans ces planches où s’entremêlent les larmes des inconsolables, les frissons de vérité, les mots qui nouent les gorges et les ventres, l’aisance poétique de Fanny Britt raconte avec un talent fou les faiblesses des êtres (trop) aimés. Ainsi se remplissent les bulles sensibles de lettres cursives et naïves qui renforcent la délicatesse du récit. Et en filigrane, une invitation à aller saisir le bonheur, celui qui ne s’invente pas.
– Tu sais ce que tu vas lui dire? – Je vais lui dire que je l’attends depuis longtemps. Depuis plus longtemps que la durée de ma vie. […] Je vais lui dire qu’être en danger devant elle c’est plus merveilleux que tout et je vais lui dire que si je me mets à pleurer j’espère qu’elle comprendra que ce sont des larmes de courage…
A travers une histoire d’amour qui ne saurait être un modèle de perfection, l’album pose le regard d’un jeune garçon sur son petit monde qui s’égare et se perd dans celui des grands. La sensibilité à fleur de cases… Une merveille à offrir inlassablement qui invite à prendre le temps de croire aux petits miracles couchés sur le papier.
Pour vos oreilles : Brooklyn Bridge d’Alex Beaupain
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Un coup de cœur à l’honneur dans le premier numéro de la revue trimestrielle de bande dessinée Pierre Papier Chicon à laquelle je contribue avec une chronique littéraire façon « Moi après mois » qui parlera peut-être aux lecteurs réguliers de ce blog. N’hésitez pas à soutenir sa publication en la commandant ici ou -mieux encore – en vous abonnant.
Les chroniques conquises de Noukette, Mo, Antigone, Saxaoul, Le Petit Carré jaune.
Louis parmi les spectres – Fanny Britt & Isabelle Arsenault
28€ / 153 pages
Octobre 2016ISBN: 978-2-89777-000-6

Mon coeur a fait boum aussi, j’ai adoré !
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Comment ne pas y être sensible?
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Je l’avais déjà placée sur ma liste de Noël de l’année passée,mais je n’ai pas été entendue par le Grand Barbu…je réessaie cette année 😉.
J’avais déjà eu un coup de foudre pour Jane, le Renard et moi du même duo. ❤
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J’espère que le Grand Barbu entendra ton message cette année. Louis ne se rate pas.
J’ai aussi lu Jane mais j’avoue avoir une nette préférence pour Louis.
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Il y a quelques jours, FB me rappelait que j’ai lu cet album il y a un an. Ce fut une claque, un coup de cœur énorme. Je ne l’ai pas relu depuis et pourtant, les souvenirs de lecture sont encore très forts.
Un de mes précieux… 🙂
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Je l’ai lu pour ma chronique PPC et n’ai pas fait de chronique pour le blog dans l’immédiat. Et puis j’ai eu terriblement envie de le relire tant je l’ai aimé. Louis devait avoir sa place au milieu des livres…
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Il finira bien par croiser mon chemin, c’est certain 🙂
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Ce serait vraiment regrettable qu’il ne vienne pas passer un moment avec toi…
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Belle chronique…
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Un magnifique roman graphique tout comme les autres livres d’Isabelle Arsenault d’ailleurs 😉
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Comment (vouloir) résister à la petite merveille que tu présentes si bien ?
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J’avais aussi adoré ! http://promenadesetmeditations.blogspot.fr/2017/03/louis-parmi-les-spectres-de-fanny-britt.html
Et j’adore ces illustrations 🙂
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j’avais déjà noté lors des autres chroniques, tu enfonces le clou !
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Il est sur les étagères de mon CDI mais, comme Jane, il ne trouve pas grands lecteurs. Je pense que cela vient du graphisme. Il va falloir que j’en fasse la pub et après, j’espère que le bouche à oreille fonctionnera.
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Deux chroniques pour ce sublime album, c’est dire si tu l’aimes celui là… (et comme je te comprends…) ❤
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Louis parmi les spectres est tres beau. Belles chroniques.
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Je crois qu’il faut absolument que je le lise… Merci pour la découverte
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Cet album m’a aussi beaucoup émue, je suis une grande fan de ces deux auteur/dessinatrice. J’ai particulièrement aimé le travail qu’elles font avec les couleurs !
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Un immense coup de coeur pour moi! Je l’ai prêté et je pense aussi l’offrir à Noël! Une pépite!!
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Déjà repéré sur d’autres blogs et dans ma wishlist, tu me donnes envie de lire là tout de suite!
Bravo pour ta contribution à la revue 🙂
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j’aimerais vraiment lire ce livre je le mets dans mes indispensables …………
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Il est devenu un des miens !
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Allez, je sais ce qu’il me reste à faire….
Voilà, c’est noté !
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je n’ai toujours pas mis la main dessus, mais ça va vite arriver, j’en suis sûre!
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Dans ma pal depuis le dernier Montreuil celui-ci, avec une jolie dédicace en prime 😉
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Je note « Louis… » – merci !
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Et tu fais bien. Vraiment…
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Coup de coeur a aussi pour moi, comme tu as pu voir! Je suis super fan de ce duo, en fait.
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