Et mon coeur fait boum·L'Art du Roman·Rentrée littéraire

Je suis Jeanne Hébuterne – Olivia Elkaim

Pour quelle autre geôle quitterais-je donc mon frère, ma famille? Ce Modigliani aime les femmes (« les maîtresses, les putains »), avale du vin, du rhum, sans que ses yeux se vitrifient un seul instant […] Ce bandit te traînera dans la boue, Jeannette. Ce voyou fera ton malheur.

Elle croise Amedeo Modigliani et tombe follement amoureuse en niant furieusement qu’il puisse un jour causer sa perte. Elle l’aime, attirée par l’homme, fascinée par l’artiste. Elle l’aime, et le reste n’est que littérature

Avale ce sang suave, jeune fille. Et surtout baise! Baise! Tu as l’éternité pour dormir.

Elle est Jeanne Hebuterne: un cœur pur, prêt à en découdre avec la passion. Une demoiselle prête à la vivre pleinement, à se laisser happer. Et peu importe le prix. Fille de bonne famille, celle que le provoquant peintre Chaïm Soutine surnomme la petite bourgeoise vit dans une cage dorée dont les barreaux sont à l’image des gens qui l’entourent. Des parents, fervents dévots, ultra protecteurs, soucieux du respect de la morale et du regard des autres et un frère, André, parti sur le front qui entretient avec elle une relation trop fusionnelle pour paraître saine (à l’image d’un Paul Claudel avec sa sœur Camille…) Engoncée dans ce carcan familial, elle n’aspire qu’à la fuite, mais, inévitablement, la libération a le prix du renoncement et l’on ne s’éprend pas d’un homme comme Modigliani sans essuyer quelques douloureux revers.

Voilà où il en est. Il va, il vient. Il empire… Il ne faut sans doute pas trop attendre des hommes.

Ce roman est, je crois, un de mes vrais beaux coups de cœur de cette rentrée littéraire. Je connaissais Jeanne Hebuterne et son histoire suite au film de Mick Davis (avec Andy Garcia, Elsa Zylberstein) sur Modigliani. Ce livre en est un très bel écho et Olivia Elkaim signe ici sans conteste un sublime portrait de femme. Sous la forme d’un carnet, d’un journal intime, sa plume offre une voix passionnée à celle qui a aimé avec la ferveur bafouée d’une grande amoureuse. Fidèle à la noblesse des sentiments qui la bouleversent, cette héroïne raconte la collision des corps et des cœurs, les illusions qui aveuglent, la douleur qui déchire, l’émancipation qui libère. Sa voix nous accompagne dans un Paris splendide et misérable et l’on se passionne pour ce récit absolument captivant.

On ne fouille pas dans les affaires de l’autre avec la fureur de ceux qui se sont aimés et qui finissent par fureter partout pour se prouver qu’ils se haïssent. On ne regarde pas dans les livres, les annotations, les phrases soulignées trois fois […] Pas de jalousie, quand bien même le désir fou de possession se fracasserait sur la réalité: je ne suis pas lui, il n’est pas moi.

Mais derrière cette histoire d’amour singulière, il faut aussi voir le portrait d’une société où deux mondes se scrutent avec dédain et s’entrechoquent. Celui d’une bourgeoisie catholique tantôt ouverte, tantôt sans concession et celui d’une bohème maudite qui se noie dans ses excès et ses démons. Et sous cette ligne de faille, un gouffre béant qui n’attendait plus que Jeanne Hébuterne.

Un désir fou a vaincu ma mélancolie. J’ai réussi à éloigner la mort. Je vis à toute allure.

Un autre roman de la rentrée littéraire sur la même époque mais d’un tout autre ton: Minuit Montmartre de Julien Delmaire chez Grasset.

Je suis Jeanne Hébuterne – Olivia Elkaim

Éditions Stock

23 août 2017

Rentrée littéraire Septembre 2017

240 p / 19€

ISBN: 9782234079700

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