Les classiques c'est fantastique

Esther – Jean Racine

ASSUERUS: Je ne trouve qu’en vous je ne sais quelle grâce, / Qui me charme toujours et jamais ne me lasse. / De l’aimable Vertu doux et puissants attraits!/ Tout respire en Esther l’innocence et la paix. / Du chagrin le plus noir, elle écarte les ombres, / Et fait des jours sereins de mes jours les plus sombres.

Esther est l’épouse du roi Assuérus. Saisi par cette femme singulière, il lui a aussitôt offert sa confiance et une place sur le trône de Perse. Auprès d’elle, son oncle protecteur Mardochée attend patiemment la reconnaissance du roi qu’il a sauvé d’un vil complot.

Toutefois, le favori du roi, Asam, voit la présence de cet homme d’un très mauvais œil et il faudra peu de temps à son esprit calculateur et perfide pour exiger du Roi un sanglant décret visant à sacrifier les traîtres du royaume. Leur crime? Être juifs. Ignorant la confession de sa femme, le roi accède à la demande de son homme de confiance et un décompte de dix jours est annoncé avant de mener à bien le terrible massacre. Esther, dévastée par la nouvelle songe à révéler à Assuérus qu’elle porte en elle le sang de l’ennemi juré.

MARDOCHEE: Cieux ! Éclairerez-vous cet horrible carnage? / Le fer ne connaîtra ni le sexe, ni l’âge. / Tout doit servir de proie aux tigres, aux vautours, / Et ce jour effroyable arrive dans dix jours.

Forte et fière, terrifiée mais courageuse, Esther entame – épaulée par son chœur – une marche lente qui la conduit aux pieds de son roi et époux pour lever le voile sur l’aveu qui sied si bien aux héroïnes de son envergure. De son côté, Asam se retrouve dans une mauvaise posture face au roi lorsqu’un quiproquo le conduit à prodiguer des conseils – purement intéressés – pour récompenser l’homme qui mériterait les honneurs du souverain. Face à ce coup de théâtre, Asam apprend que le roi cherchait à honorer – tardivement – Mardochée et ne récolte alors que le déshonneur et la honte. Sa rancœur n’en est que plus vive et acerbe et il lui tarde de voir le décompte sanglant arriver à son terme.

HYDASPE: J’ai des savants Devins, entendu la réponse. / Ils disent que la main d’un perfide Étranger / Dans le sang de la Reine est prête à se plonger / Et le Roi qui ne sait où trouver le coupable, / N’impute qu’aux seuls juifs ce projet détestable.

C’est un Racine dont le ton s’éloigne un peu de ses titres incontournables que nous découvrons en tournant les pages d’Esther, héroïne inévitablement dans l’ombre des si fascinantes et charismatiques Andromaque ou Phèdre. Les cœurs tourmentés et pétris de dilemmes ont cédé leur place à une intrigue plus austère où la question religieuse est au premier plan. Le verbe et le souffle racinien sont pourtant bel et bien au rendez-vous, sans pour autant saisir immédiatement le lecteur comme il sait si merveilleusement le faire. La faute aux interventions ponctuelles des chœurs – voix et échos puissants de vers quasi incantatoires – laissant la part belle aux allégories et aux discours plus obscurs ? L’attachement à cette tradition antique conduit Racine à briser le rythme et le phrasé de l’alexandrin et vient parfois troubler le confort de lecture qui se met délicieusement en place au fil des scènes. Un bémol plus qu’une sérieuse déconvenue.

Originale par son sujet (biblique et non antique) autant que par sa forme qui rompt avec les exigences en matière de tragédie classique (trois actes au lieu de cinq) Esther, tragédie de commande à visée édifiante, désarçonne car elle peine à nous emporter lors des premières scènes très référencées qui exigent un minimum d’efforts de contextualisation. Toutefois, le talent du dramaturge parvient au fil des pages à nous rattacher à son intrigue et à rendre admirable son héroïne qui, malgré son discret passage à la postérité, s’offre une place méritée parmi les grandes figures féminines éternellement chantées par la littérature.

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Ma lecture du mois de mars pour poursuivre (sur le fil une fois de plus) le challenge Je lis des classiques chapeauté par le Pr.Platypus.

En janvier, Ibsen et le théâtre étaient à l’honneur.

En février, je relisais le grand Corneille avec Le Cid.

(Et en avril deux romans classiques au programme.)

Esther –  Jean Racine

XVIIe siècle.

Pièce en trois actes.

Pièce au programme de l’Agrégation interne de Lettres Modernes 2018.

Challenge classique

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12 réflexions au sujet de « Esther – Jean Racine »

  1. Souvenirs souvenirs… dans une époque lointaine j’ai chanté avec toutes les 6ème de mon lycée ( on ne disait pas encore collège) les choeurs d’Esther au théâtre. Sinon ce n’est pas ma pièce préférée de Racine. J’aime la poésie de ses vers.

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    1. Je l’ai acheté dans une brocante ce Nathalie Azoulai et je le lirai après avoir relu mes préférées (Andromaque et Phède) puis Bérénice et Britannicus. Ce que tu dis ne me surprend pas (et tu me donnes envie de le lire vite !)

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  2. Je l’aimais beaucoup au lycée (j’ai même joué Andromaque^^ en quatrième ou troisième) mais j’avoue que je n’ai rien relu depuis et je ne sais pas comment je le ressentirais aujourd’hui ! A tester donc ! 😉

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