68 premières fois·Et mon coeur fait boum·L'Art du Roman·Lire l'ailleurs.·Rentrée littéraire

Hiver à Sokcho – Elisa Shua Dusapin

Il est arrivé perdu dans un manteau de laine. Sa valise à mes pieds, il a retiré son bonnet.

Sokcho est perdue dans le froid et la brume à quelques pas de la terrifiante Corée du Nord. Le calme règne dans cette ville portuaire qui vivote lentement, engoncée dans ses hivers rigoureux. Elle a toujours vécu ici bien que sa vie soit au carrefour de deux cultures. Il débarque sous son bonnet de sa Normandie dans cette pension où elle travaille. Il est l’homme du bout du monde et vient découvrir cette ville qui  l’accueillera, le temps de se nourrir de l’atmosphère qui règne ici.

Il dessine. Parfois. Elle l’observe. Souvent. Comme une danse. Pudique. Discrète. Ils se découvrent dans les silences et la froideur en sachant bien que ce qui se trame, inévitablement, dans les regards furtifs. La tension est là, palpable, élégamment contenue dans un furieux tourbillon d’admiration, d’envie et de désir de passage.

Suintant l’hiver et le poisson, Sokcho attendait. Sokcho ne faisait qu’attendre. Les touristes, les bateaux, les hommes et le retour du printemps.

Dans ce roman où les choses se taisent plus qu’elles ne se disent, chaque instant se déroule dans la délicatesse et l’atmosphère d’une ville qui vous enrobe de son aura. Nous arrivons à Sokcho en même temps que le héros et nous nous laissons prendre au jeu de l’immersion totale. Vapeurs odorantes de soupes, saveurs et couleurs locales, effluves étourdissantes: la ville nous prend, nous saisit et nous conte cette histoire pleine de désir et de pudeur. Elle est le théâtre d’une histoire banale qui a pourtant une force singulière.

Le livre d’Elsa Shua Dusapin est profondément cinématographique. Elle y saisit l’essentiel d’une histoire suggérée dans les non-dits, elle y dépeint cette histoire sensible entre deux êtres. Et bien que peu de doutes subsistent quant à l’issue de cette rencontre, l’auteur économise les rebondissements faciles, s’évite les retournements de situation attendus. On laisse le temps filer avec l’hiver, on laisse le givre figer ce qui bientôt ne sera plus. La plume gorgée d’encre s’abandonne sur le papier. L’une gardera le beau en mémoire, l’autre saisira le souvenir. Et le papier, entre eux, comme une fine paroi qu’on effleure, comme une peau qu’on frôle à défaut de s’offrir plus.

C’est tout simplement délicat, saisissant de beauté, enivrant de douceur. Un premier roman qui éveille l’impatience de relire cette jeune plume.

Les plages ici attendent la fin d’une guerre qui dure depuis tellement longtemps qu’on finit par croire qu’elle n’est plus là, alors on construit des hôtels, on met des guirlandes mais tout est faux, c’est comme une corde qui s’effile entre deux falaises, on y marche en funambules sans jamais savoir quand elle se brisera, on vit dans un entre-deux, et cet hiver qui n’en finit pas ! 

Une première lecture commune avec ma Noukette pour un début d’année en douceur et en beauté…

Les chroniques de Jérôme, Mon Petit Carré Jaune, Martine, Virginie Vertigo, et Pati Vore.

◊ Son deuxième roman: Les billes du Pachinko

Hiver à Sokcho Elisa Shua Dusapin

Éditions ZOE

Rentrée littéraire Août 2016

140 p / 15€50

ISBN: 978-2-88927-341-6

Rentrée littéraire 2016 3% Touche à tout 16/18
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59 réflexions au sujet de « Hiver à Sokcho – Elisa Shua Dusapin »

    1. Il y a quelque chose d’assez contemplatif dans ce roman. Mais comme il est assez bref, on saisit les sentiments et les sensibilités sans toutefois croupir dans un récit d’une longueur et d’une lenteur insupportables. Il faut y être réceptif. Ne te lance pas si tu ne le sens pas.

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  1. Ma première lecture de la rentrée littéraire, qui me rappelle de formidables souvenirs du mois d’août quand je l’ai lu vautrée sur mon amoureux pendant tout un après-midi dans une chambre de bonne parisienne, alors qu’il faisait tellement chaud dehors qu’on ne voulait pas sortir. J’étais pourtant totalement en décalage avec le froid que dégage ce livre… Et pourtant, il m’avait littéralement emportée, bref j’avais adoré.

    Aimé par 1 personne

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