Neuvième art

Dans les bois – Emily Carroll

Il faut se méfier du bois qui dort. Sous une lune rouge sang, les branches ressemblent étrangement à des mains prêtes à saisir au cou le malheureux qui aura eu l’idée saugrenue de s’égarer dans la forêt.

Il faut se méfier du bois qui dort. On pourrait bien ne jamais en revenir.

Il faut se méfier du bois qui dort. Ses moindres recoins sont parfois le tombeau d’éternelles âmes damnées.

L’album Dans les bois d’Emily Carroll a quelque chose d’un grimoire moderne. Couverture cartonnée, fin ruban rouge en guise de marque-page, élégant papier épais et mat. A l’intérieur, point d‘incantation terrifiante à murmurer au coin d’un feu, mais cinq histoires pour se faire peur, trembler, troubler.

Une jeune femme qui semble trop étrange pour être honnête, trois sœurs innocentes charmées par l’appel de la forêt, deux frères liés pour affronter le monstre qui sommeille dans la forêt, deux amies qui voient « un exquis divertissement » prendre une tournure inattendue, une jeune mariée qui écoute la douce et terrifiante comptine des murs qui chantent un passé terrifiant.

Alors tu seras seule. Et le chagrin s’emparera de toi. Il te rongera de l’intérieur. Il y fera son nid.

Il est souvent question de liens familiaux que l’étrange vient malmener et que l’horreur n’épargne pas. Qu’il soit naïf, fourbe, jaloux ou suspicieux, chaque personnage se frotte à l’inexplicable, aux monstres, aux ombres brumeuses à ses risques et périls. La curiosité est souvent sanctionnée – l’aura de Barbe Bleue et d’autres figures tutélaires de contes noirs n’est jamais bien loin – et les appels à la prudence rarement entendus. Les histoires nous mènent jusqu’à la chute qui tombe comme un couperet, avec plus ou moins de réussite.

Emily Carroll fait le pari osé de faire frissonner ses lecteurs et de les plonger dans un univers oppressant, dérangeant fait de tensions narratives et d’interrogations angoissantes. Le malaise plane, les doutes se jouent de nous: le monde qui gravite autour du bois est soutenu par un univers graphique varié qui tend à changer de nouvelle en nouvelle, porté par des constantes colorées qui savent installer une atmosphère parfaite pour se méfier des noirs intenses, s’interroger sur ces blancs vaporeux qui apparaissent… Ajoutons à cela, certaines bulles, gorgées d’un rouge vif qui en disent long sur les dangers qui flottent insolemment autour des héros.

Il m’en faut beaucoup pour avoir peur en lisant. Il me semble ici que le défi n’est pas totalement remporté pour Emily Carroll mais je ne cache pas qu’il est extrêmement difficile de me faire peur tant le cinéma a su s’imposer dans le domaine de l’angoisse et de l’horreur. Si Emily Carroll a su indéniablement imposer son univers graphique singulier, il manque encore un peu de panache et de finesse pour suffire à jouer habilement la carte de l’effroi et de la terreur. Certaines ficelles gagneraient à être un peu plus subtiles afin d’entretenir le trouble instauré au fil des histoires, d’autant que les découpages audacieux servent à merveille le récit qui s’égraine, mot à mot, comme dans un sablier diabolique.

Côté dessin, le parti pris de la diversité graphique fait parfois perdre de sa force à certaines planches absolument fascinantes et superbes qui laissent entrevoir un joli potentiel – à suivre – pour cette demoiselle qui signe là son premier album. Un ensemble assez inégal à mes yeux mais qui saura convaincre et trouver son public chez les lecteurs friands de récits troublants qui se lisent à la nuit tombée.

Cette chose a un cœur qui bat. Je crois. J’ai vu ses entrailles s’animer et s’enflammer, comme les branches d’un arbre mort frappé par la foudre.

Noukette a eu la trouille et elle en parle ici.

Le site de l’auteur.

les-livres-qui-font-peur
Ma sélection : 8 livres pour se faire peur !

Dans les bois – Emily Carroll

Casterman

208 pages – 22€

Janvier 2016

ISBN: 978-2203097513

 

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19 réflexions au sujet de « Dans les bois – Emily Carroll »

  1. Les points faibles que tu pointes ne m’avaient pas sauté aux yeux à la première lecture de ce roman graphique. Faut dire que comme je te l’ai mis, je suis une petite nature et je m’étais vraiment fait avoir comme une bleue, j’ai eu un peu peur, j’ai même quelques fois frissonné..
    Et à te lire, c’est vrai que parfois les chutes étaient assez prévisibles mais comme je suis bon public ça ne m’a pas dérangée😉.

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