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Pereira prétend – Pierre-Henry Gomont

Massif, imposant, cravate noire et costume clair. Pereira en impose par sa carrure et sa stature et il est difficile de ne pas remarquer cet homme lorsqu’il foule les pavés lisboètes. Son nom a quelque chose de familier pour ceux qui parcourent une presse qui a pourtant perdu de sa verve et de sa crédibilité depuis qu’elle se soumet aux caprices de la censure.

Pereira prétend qu’il aime son métier.

Rédacteur culturel dans un journal local, il s’essouffle physiquement et professionnellement. Sa vie se résume à remplir quelques pages blanches et à donner la réplique à un visage noir et blanc figé sous le verre d’un cadre qui rappelle l’absence de la femme aimée.

Pereira prétend qu’il se porte bien.

Vous savez ce qu’on dit. La philosophie se targue de parler de l’essentiel, et ne s’occupe peut-être que de frivolités… La littérature c’est l’inverse.

C’est justement à ce moment qu’un nouveau visage va insuffler à cet homme de bureau, le goût retrouvé de la curiosité et de la force vivifiante des convictions. Francesco Monteiro Rossi – aux traits fin d’un jeune premier – devient son stagiaire et reçoit la mission incongrue de rédiger les nécrologies d’écrivains qui ne sont pas encore morts. Une tâche à laquelle il se livre non sans quelques entorses à la bien-pensance exigée dans un pays nécrosé par un régime dictatorial. Alors qu’ils n’avaient absolument rien en commun, voilà deux hommes qui, à leur manière, se sauveront mutuellement. Quand l’un clamera que la liberté se crie, l’autre en son nom affirmera qu’elle s’écrit.

Un jour, il faudra que tu trouves ta place parmi les autres mon amour.

Il y a des albums dont la sortie est tant attendue qu’ils viennent insolemment titiller votre impatience. Ceux de Pierre-Henry Gomont font définitivement partie de ceux-là. Après Les Nuits de Saturne, sublime adaptation à la noirceur folle d’un roman de Marcus Malte, voilà que môsieur Gomont récidive avec le roman d’Antonio Tabucchi. S’il s’attaque une nouvelle fois à la littérature, c’est aujourd’hui en direction de Lisbonne la majestueuse -théâtre de la dictature salazariste- qu’il nous entraîne.

Dans cet album d’une richesse et d’une diversité étourdissante, Pierre-Henry Gomont brouille les sentiers traditionnels des bulles, casse les codes classiques de narration et fait porter à son dessin une force narrative des plus originales. Petits personnages comme griffonnés en marge qui offrent de petites séquences narratives, mots des bulles qui cèdent la place aux images: le voilà qui joue, expérimente, innove et ce toujours avec audace pour faire de son récit un terrain de jeu narratif. Et simultanément au récit qu’il nous livre, s’écrit le cheminement intérieur d’un héros en reconstruction. Pereira renaît de son bourbier nostalgique en assemblant ces voix qui sommeillent en lui, l’interpellent et le mettent face à ses contradictions et ses silences. Tour à tour, il s’imprègnera de leurs conseils, se délestera de ses petits démons qui le noient sous ses questionnements intérieurs. Un parcours introspectif mené avec brio.

Ce qui m’intéresse, c’est la vie, pas la mort.

Quant au dessin, là encore le crayon de Pierre-Henry Gomont a de multiples facettes. D’une case à l’autre, nous retrouvons cette maîtrise impeccable dans la représentation discrète des petits riens. (Azulejos, foisonnement végétal, rue écrasées par la lumière du sud.) Puis, le souci du détail cède parfois sa place aux flous et aux traits vifs, aux contours et vides qui suggèrent et s’offrent le luxe de ne pas tout dire. Enfin, nous retrouvons cette capacité de l’auteur à exploiter une palette de couleurs qui ne craint pas les écarts subtils allant des tons les plus froids aux ambiances les plus lumineuses, assurément à l’image des émotions successives qui nous saisissent au fil de la lecture.

Pereira prétend suppose une lecture exigeante. C’est un album d’une densité rare qui force l’admiration baignant dans l’atmosphère moite d’une ville étouffée par les monstres, les odieux, mais où les insoumis et les révoltés ont plus que jamais leurs mots à dire.

Pereira prétend  –  Pierre-Henry Gomont

Sarbacane

 152 pages / 24€

ISBN: 978-2-84865-914-5

Septembre 2016

Rentrée littéraire 2016 3% Touche à tout 6/18
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Chez Noukette

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44 réflexions au sujet de « Pereira prétend – Pierre-Henry Gomont »

    1. Sacrilège ! Scandale ! Qu’entends-je ???? (Je cesse là l’esclandre théâtral) Ce n’est pas si grave si et seulement si tu pars vite à sa rencontre !
      Je te conseille plutôt de commencer avec Les Nuits de Saturne et de te plonger ensuite dans Pereira ! Tu me diras si tu te lances? 😉

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